Affinity K nous entraîne dans l’histoire d’amour de deux sœurs jumelles aux confins de l’enfer d’Auschwitz et à l’ombre de Josef Mengele, avec une grâce et une humanité extraordinaire.

A l’automne 1944, Pearl et Stasha, des jumelles de 12 ans, sont déportées avec leur mère et leur grand-père dans des wagons à bestiaux en direction d’Auschwitz. Séparées de leur famille, elles intègrent le Zoo des jumeaux de Josef Mengele. Là-bas, elles découvrent l’entassement dans les baraquements − comparées à des boîtes d’allumettes −, la solidarité et la cruauté. A tour de rôle, elles sont le sujet d’expérience de celui qui se fait appeler « Oncle » et qui leur donne des bonbons. Ce qui fascine Mengele, c’est le lien qui les unit, ce Tout indivisible qu’elles constituent à deux. Il essaie pourtant de les séparer, de les différencier, de les rendre étrangère l’une à l’autre. Il explore la limite du lien physique et psychique de leur gémellité.

Dans le camp, Pearl devient la gardienne du temps passé et du souvenir tandis que Stasha prend en charge l’avenir. Elles se transforment en animal de laboratoire tout en réussissant à créer des liens avec leurs surveillants, le « Père des Jumeaux » et le Dr Miri, ainsi qu’avec les autres sujets de Mengele : géants, lilliputiens, estropiés, Juifs à l’apparence trompeuse d’Aryens… Trois compagnons de misère aideront les jumelles à survivre et à trouver la force de vouloir vivre : Mirko, Bruna et Feliks.

Le roman se divise en deux parties. Dans la première, Pearl et Stasha sont réunies à l’intérieur du Zoo d’Auschwitz et subissent de nombreuses tortures. L’une perdra à moitié la vue et l’audition, l’autre l’usage de ses jambes. Dans la seconde partie du roman, les jumelles sont séparées lors de la libération du camp. Chacune ne cesse d’être à la recherche − consciente ou inconsciente − de l’autre, de leur « Quelqu’un », comme dit Pearl. Stasha et Feliks, dans la peau de Chacal et d’Ours, se lancent dans une mission impossible : se venger, trouver et tuer Mengele. De son côté Pearl, après l’expérience de la cage, a oublié tous ses souvenirs jusqu’au prénom de sa sœur et le sien. Miri, le « Père des Jumeaux », et quelques enfants veillent sur elle et lui permettront de rester en vie. Ce n’est qu’au terme d’une odyssée infernale, sensible et émouvante que Stasha et Pearl se retrouveront.

 

Mischling ou la division

Mischling, dont le titre reprend un terme nazi pour signifier qu’elles sont de sang-mêlé, décrit à la fois le regard soupçonneux porté par leurs bourreaux sur Pearl et Stasha, l’entremêlement subtil des voix dans la narration et leur nouvel état dans le Zoo, toujours dans l’entre-deux, enfant et adulte oscillant entre la mort et la vie.

Chacune prend en charge la narration. Leurs récits se complètent. Pearl, timide et méthodique, ne voit pas et ne sait pas la même chose que Stasha, la sans-peur, et réciproquement. Il n’y a aucune description détaillée des opérations, des amputations sans anesthésie et des atrocités commises sous les ordres de Mengele… L’horreur est vue par le prisme de l’enfance, de son monde imaginaire et de ses jeux. Ce roman d’amour est aussi un roman de la résilience : à travers les mimes, le mensonge, les vols, le souvenir des coquelicots dessinés par la mère et le secours poétique, les prisonniers déploient des techniques pour survivre. L’espoir et la solidarité entre les membres du Zoo s’opposent au ciel rouge de cendres et de feu de la barbarie humaine.

 

Le langage et la voix de l’enfance

Basé sur les mémoires des survivants, le roman d’Affinity K emprunte une approche différente de ses prédécesseurs. Le choix de la fiction, qui de prime abord pourrait paraître choquant, montre à quel point l’écriture fictionnelle et poétique apporte quelque chose aux témoignages. Affinity K choisit le langage de la fable et du mythe. Elle ne décrit pas l’ignominie dans ses menus détails mais va au-delà, elle creuse dans les ténèbres un langage qui donne corps aux souffrances d’un peuple, pour embrasser et bénir ces âmes décimées.

Avec une poésie délicate et poignante, intense et viscérale, l’auteur donne vie à ces êtres privés de la meilleure partie d’eux-mêmes, martyrisés, privés d’identité et de voix. A travers le récit à double voix, mené par Pearl et Stasha, s’élève un chant tout entier dédié à la foi en l’humanité.