Les questions LGBTQI* constituent des problématiques progressivement intégrées par l’école. Cependant le chemin qu’il reste à parcourir est encore long, avant que l’école ne joue pleinement son rôle dans la sensibilisation des élèves à la diversité de sexe et de genre, et dans la lutte contre les discriminations auxquelles elle donne lieu.

 

LGBTQI* : le sigle évolue à mesure que les thématiques qu’il recouvre se complexifient. Aujourd’hui, la désignation de la diversité des caractères et des orientations sexuelles identifie donc les « lesbiennes, gay, bisexuel-les, transgenres, en questionnement et intersexes, voire autres encore… » Ainsi personne n’est laissé à l’écart du champ de la non-hétérosexualité embrassé par ce sigle, qui souligne en négatif les limites du discours de l’école française en la matière.

 

Extension progressive des formes reconnues de la diversité

En 2015, les programmes d’Enseignement moral et civique ont bien intégré explicitement la lutte contre l’homophobie, qui se donnait pour objectif de prévenir un vaste spectre de discriminations. En effet selon un rapport de 2013 sur les LGBT-phobies à l’école, ce ne sont pas seulement les élèves ouvertement homosexuels qui sont concernés, mais également les élèves considérés comme homosexuels par leurs camarades ou encore les élèves issus de familles homoparentales. Ces violences symboliques ou physiques se déploient en réalité dans un contexte d’homophobie latente à l’école du fait de l’usage courant chez les élèves des injures à caractère homophobes   . Or parmi les nombreux risques auxquels expose le harcèlement scolaire – échec scolaire, désocialisation… –, on observe aussi chez les adolescents une nette prévalence du taux de tentatives de suicide liées à la peur de parler de leur situation et d’être discriminés.

La thématique de la transphobie est également l’une de celle qui a connu des évolutions dans la sphère éducative, en miroir des évolutions de cette question dans la sphère publique. En effet, une loi de 2016 a introduit des changements significatifs dans le processus juridique de changement de sexe. Elle ouvre « le changement de sexe non plus seulement aux personnes souffrant du transsexualisme » mais à toute personne « majeure ou mineure émancipée ». La loi n’oblige plus à « subir des traitements médicaux, une opération chirurgicale », « une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande ». Elle prévoit ainsi que « toute personne (…) qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir modification ».

Enfin, le cas des personnes intersexes est susceptible de connaître également des évolutions dans les années à venir. En effet, plusieurs pays ont adopté la possibilité d’une mention « sexe neutre » dans les documents officiels. En mai 2017, la cour de cassation en France a refusé la mention de sexe neutre pour une personne intersexe. Cependant, l’ONU a plusieurs fois rappelé à l’ordre la France pour mutilation génitale à l’égard des personnes intersexes du fait des opérations systématiques de réassignation sexuelle des enfants intersexes.

 

Comment former les enseignants sur ces thématiques ?

Les questions de formation des enseignants concernant ces thématiques sont complexes, comme l’explique Gracia Trujillo dans un article en espagnol sous-titré « vers une pédagogie queer ». Elle expose comment, en tant que formatrice d’enseignant-e-s en Espagne, elle a souvent recours à un court métrage mettant en scène un jeune garçon qui arrive habillé en robe rose à l’école un peu avant le carnaval. Or les adultes de la communauté éducative, dans le film, considèrent comme anormal qu’un garçon veuille porter une robe rose alors que ce n’est pas encore le carnaval et qu’en outre un autre déguisement avait été prévu. Cette scène est bien souvent interprétée par les enseignants comme mettant en lumière une situation d’homosexualité ou de transexualisme.

Cette mise en situation pose comme point de départ que l’expression du genre passe d’abord par la manifestation des goûts et par le comportement de la personne. En fonction des normes sociales, on attribue à certains comportements et à certaines attitudes le qualificatif de masculin ou de féminin. Ainsi un garçon qui a des goûts socialement réputés comme féminins exprime son genre d’une manière qui s’éloigne des expressions convenues du genre masculin. Mais cette question est différente de l’orientation sexuelle qui désigne une attirance sexuelle ou amoureuse pour une personne du même sexe ou/et de l’autre sexe. Enfin, l’identité de genre désigne la manière dont la personne se perçoit relativement au sexe social qui lui a été attribué à la naissance. Ces trois dimensions ne sont pas nécessairement liées entre elles. Et c’est précisément l’intention d’un outil pédagogique tel que la licorne du genre de sensibiliser à la multiplicité de ces critères qui font toute la limite d’une opposition simple entre l’hétérosexualité et l’homosexualité comme identités de sexe et de genre univoques.

On distingue ainsi plusieurs situations auxquelles peuvent être confrontés les enseignants : les élèves allosexuels (désigne tous les cas de personnes n’entrant pas dans la norme hétérosexuelle), les personnes non-binaires (dont l’expression de genre ne suit pas les codes de la binéarité du genre) et les personnes transgenre (dont l’identité de genre ne correspond pas au sexe social assigné à la naissance). A cet égard, la notion de transexualisme tend désormais à tomber en désuétude dans la mesure où elle renvoie à une époque où la question de l’identité de genre relevait de l’ordre médical et où la non-conformité aux modèles acceptés par la médecine devait être traitée par la psychiatrie et ensuite la chirurgie.

 

Des expériences de sensibilisation

En Amérique du Nord, et maintenant dans certains pays européens, ces questions sont en particulier intégrées au sein des établissements scolaires à partir de la constitution d’« alliances gays hétéros » (AGH). Les AGH sont des espaces dans lesquels peuvent se réunir, au sein des établissements scolaires, les personnes homosexuelles et leurs « alliés » – c’est-à-dire les personnes non-concernées par cette problématique mais désirant soutenir les personnes directement concernées, et qui peuvent être aussi bien des membres du personnel scolaire que d’autres élèves. Dans un esprit similaire, en France, au niveau de l’enseignement supérieur, l’Université de Tours a récemment initié une réflexion sur les aménagements qui pouvaient être faits pour offrir un meilleur accueil aux personnes transgenres, aussi bien dans le domaine administratif (prise en compte du nom d’usage) que dans l’aménagement des espaces sexués (vestiaires, toilettes, etc.).

Au niveau de l’enseignement primaire et secondaire, Caroline Drayer souligne, dans Le pouvoir de l’injure (Editions de l’Aube, 2017), l’importance que les enseignants interviennent plus systématiquement face à la banalisation des injures homophobes dans le système scolaire, et cela dès l’école primaire. La sensibilisation à ces questions dans les jeunes classes passe, outre la dénaturalisation des normes de genre, par l’acceptation des familles homoparentales, qui peut par exemple être soutenue par l’utilisation d’albums jeunesses qui abordent cette thématique. A l’adolescence, lors des cours d’éducation à la sexualité, on peut aussi demander aux enseignants d’aborder l’homosexualité dans sa dimension de choix amoureux, sans limiter cette question à la prévention du SIDA.

Sur ce point, on peut encore s’intéresser à la pédagogie critique de la norme développée dans les pays scandinaves. Elle invite les enseignants et les élèves à s’interroger sur les normes dominantes concernant le genre, avec des exercices mettant en scène des situations d’inversion des normes. L’objectif est de tourner le regard non pas vers les personnes LGBTQI*, mais d’interroger l’évidence des normes sociales dominantes : les hétérosexuels ont-ils le droit d’adopter des enfants ? Les femmes peuvent-elles porter des robes ? Pourquoi ces questions nous semblent-elles absurdes et pourquoi l’inverse au contraire est source de débats de société ?

Ces problèmes et les solutions qui visent à y répondre peuvent sembler s’éloigner des prérogatives et des missions prioritaires de l’école. Pourtant, du fait des violences dont sont victimes les personnes LGBTQI* et des risques de suicide des adolescents concernés par ces problématiques, du fait des attitudes discriminatoires, la prise en compte des réalités du terrain ne laisse pas de doute sur l’importance de former les enseignants à ces questions. Ceci d’autant plus que la complexité des questions du sexe et du genre est souvent l’objet d’une profonde méconnaissance qui expose à toutes les confusions.