La commémoration de 1917, en URSS et à l’étranger, devient rapidement un enjeu politique et mémoriel, pour les communistes comme pour leurs opposants.

Dans la floraison éditoriale liée à l’anniversaire de l’année 1917 et à la prise du pouvoir par les bolcheviks, l’anniversaire d’octobre est devenu un thème d’étude central. Ce ne sont plus les mécanismes du politique qui importent, mais les mises en œuvres quasi religieuses ou cultuelles de la naissance du pouvoir soviétique qui intéressent alors les chercheurs. Echoes of October propose ainsi plusieurs études inédites sur les fêtes commémorant la révolution russe.

Dans son introduction, Jean-François Fayet souligne la pertinence de cette démarche. Il s’agit de montrer que que l’anniversaire a soudé une communauté plus ou moins imaginaire de communistes dans le monde entier, d’une part, et lui a donné une légitimité en remplissant diverses fonctions politiques, symboliques voire allégoriques, d’autre part. Ainsi pour paraphraser une phrase de Trotski qui disait que « les frontières de l’URSS sont les frontières de la lutte des classes », les célébrations d’octobre sont un indice de la progression de l’affrontement mondial entre les classes.

 

Une célébration internationale

L’idée selon laquelle la commémoration de la révolution socialiste d’Octobre a eu autant de sens à l’intérieur de l’Union qu’à l’extérieur de ses frontières est l’un des fils rouges de l’ouvrage.

Les contributions sur les fêtes révolutionnaires en Allemagne livrent autant d’informations sur la vie politique en Allemagne qu’en URSS. L’article d’Ottokar Luban sur « la réception d’octobre 1917 dans l’Allemagne en état de siège en 1918 » montre que les fêtes en novembre 1918 affichent un caractère révolutionnaire, participent de la tentative pour renverser la République de Weimar. Pour les bolcheviks, elles sont aussi un moyen d’étendre la révolution. Dix ans après, les fêtes de 1927, toujours en Allemagne, sont étudiées méthodiquement par Kasper Brasken. Il explique qu’elles constituent un moyen de mobilisation de l’appareil communiste international. Elles sont également un enjeu interne au KPD lors des débuts de sa stalinisation et s'intégrent aux luttes de pouvoir qui ont lieu dans le Komintern et plus largement au sein du Parti communiste de l’Union soviétique Les fêtes d’Octobre en Allemagne ressemblent symboliquement à celles de Moscou. Dans la capitale russe, les manifestations, les rassemblements et les venues de délégations ouvrières mondiales célèbrent la transformation du pouvoir, et sont, en même temps, pour le pouvoir le moyen de se légitimer dans les conflits internes à l’URSS.

Plusieurs articles apportent des éléments factuels et interprétatifs nouveaux à l’image de la réflexion sur l’exportation des fêtes dans l’Espagne républicaine. Daniel Kowalsky souligne comment Octobre a été célébrée pendant la guerre civile espagnole. Ces fêtes témoignent de la progression rapide de l’influence du Parti communiste espagnol et, plus largement, de l’URSS dans le camp républicain durant l’automne 1936. Dès le mois de novembre 1936, un nombre important d’organisations accepte de commémorer 1917. En parallèle, les Espagnols envoient des délégués pour participer aux fêtes se tenant en URSS.

Anastatia Koukouna se penche sur les commémorations en Grèce entre 1918 et 1949. Elle souligne que l’ampleur des fêtes est proportionnelle à l’influence du Parti. Dans les années 1930, elles demeurent marginales et cantonnées aux zones d’influences du PCG. C’est après la Seconde Guerre mondiale qu’elles prennent un caractère massif et s’étendent à l’ensemble du territoire. La guerre civile met un terme à ces célébrations. Dès lors, les responsables communistes célèbrent les fêtes d’octobre depuis leur exil en URSS.

 

Conflits de mémoire

Tous les articles de ce recueil ne sont pas aussi heureux. Ainsi, Stephan Rindlisbacher, dans les échos de l’écho, se penche sur la perception des fêtes d’octobre dans le monde en URSS. Si son idée de traiter les fêtes révolutionnaires à travers l’organe officiel du Parti communiste, la Pravda, est intéressante, son contenu est frugal. L’auteur constate simplement que le journal se fait l’écho de ces célébrations dans le monde et qu’il varie en fonction des périodes et des intérêts de la politique étrangère de l’Union soviétique.

A contrario, l’analyse par André Liebich de la commémoration par les mencheviks de la révolution d’Octobre est passionnante. Pour ces vaincus de l’histoire, l’anniversaire devient un moyen de contre propagande. En liaison avec les partis socialistes du monde entier, ils tentent d’informer de ce qui s’est réellement passé – coup d’Etat, violence contre les opposants, etc. – mais, comme pour les libertaires, ils prêchent dans le désert. Fedor Dan, Boris Nicolaevski, David Dallin ou Rafael Abramovitch ont beau communiquer, posséder des informations de première main, rien n’y fait. C’est seulement lorsqu’ils arrivent aux Etats-Unis qu’ils pourront reconvertir leurs expériences politiques en ouvrages scientifiques.

 

En conclusion, l’ensemble de ces articles offre un aperçu original sur le caractère international de la commémoration de ce moment révolutionnaire, tout en soulignant l’uniformisation progressive de ses pratiques

 

* Dossier : 1917-2017 : cent ans après la Révolution d'Octobre.