Un hommage à l’un des plus grands historiens français du XXème siècle qui souligne ses apports en histoire politique, sociale et culturelle.

Maurice Agulhon (1926-2014) a été l’un des plus grands historiens français de la seconde moitié du XXème siècle. Par ses travaux nombreux et variés, Agulhon a renouvelé l'historiographie française (et même européenne) dans les domaines de l'histoire sociale et politique notamment. Participant à de nombreux projets, dont certains ont été de vrais succès d'édition, à l'image des Lieux de mémoire   de Pierre Nora, il a marqué ses contemporains par ses travaux sur la symbolique.

Aux carrefours de l’Histoire vagabonde reprend les actes d’un colloque qui s'est déroulée le 30 mai 2015, à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, où Maurice Agulhon a enseigné. Lors de celui-ci, de nombreux historiens français de renom, à l'image de Christophe Charle, Dominique Kalifa, Michel Vovelle, Antoine Prost ou Philippe Boutry (entre autres) ont brossé un portrait intellectuel de leur ami. Ce portrait, tout en nuances, permet d'appréhender les apports majeurs de Maurice Agulhon à l'histoire contemporaine française. Les contributions sont regroupées en deux parties intitulées « Maurice Agulhon et l'Histoire plurielle » et « Maurice Agulhon en son temps ».

Les textes réunis montrent à la fois la personnalité de l'historien et l'intérêt majeur de ses travaux. Sans aucun doute appelé à devenir un titre important dans l'historiographie, ce livre permet, grâce à des textes assez courts et précis, d'appréhender la pensée historique d'Agulhon et de mesurer l’influence de ses travaux dans les domaines de l'histoire politique et sociale. Il ne s’agit pas d’un recueil de textes d'Agulhon, mais plutôt d’une mise en perspective de son œuvre par un groupe d'historiens qui furent ses proches.

 

Une histoire plurielle : la diversité des apports de Maurice Agulhon à la recherche historique

Force est de constater, à la lecture de ces différents articles, que sa production fut féconde et novatrice en son temps. En effet, les différents contributeurs dévoilent chacun, dans la première partie de l'ouvrage, les multiples facettes d'Agulhon. On retrouve là ses travaux sur la Révolution française, sur le mouvement ouvrier, sur l'histoire de la violence, au XIXème siècle principalement, mais aussi au XXème.

Le chapitre le plus attendu est sans doute celui de Christophe Charle. Spécialiste de l'histoire des intellectuels, ce dernier démontre tout ce qu'il doit à Maurice Agulhon, mais aussi tout ce que la recherche historique doit à ce grand maître qui n'a pas hésité à traverser les époques pour faire de l'histoire à sa façon. S'il était un dixneuviémiste de formation, il n'a jamais hésité à remonter jusqu'à la Révolution pour comprendre les phénomènes étudiés, ni même à faire de nombreuses incursions dans le vingtième siècle comme le montre Antoine Prost, avec toute sa hardiesse intellectuelle habituelle, qui voit en lui un « vingtiémiste contrarié ».

Historien fécond, toujours prolixe et adepte du mot juste, Maurice Agulhon a donc travaillé sur de nombreux aspects de l'histoire contemporaine, tout en restant toujours dans les domaines de l'histoire politique et sociale.

 

Un historien militant et impliqué

Comme la majorité des collègues de sa génération, Maurice Agulhon a été un historien engagé et militant dans de nombreux projets. Après un parcours classique à Normale Sup', il a enseigné à l'Université d'Aix-Marseille, avant d'aller à Paris-1, puis tel un couronnement de sa belle carrière, il a été élu à une chaire du Collège de France. Ce parcours universitaire sans tâche ne l'a pas empêché de participer à plusieurs sociétés d'études diverses, toutes en rapport avec le XIXème siècle. Que ce soit à la « Société de 1848 », ou à celle des « Etudes jaurésiennes », il a à chaque fois relancé des historiographies parfois moribondes en traçant, pour son époque, des pistes de recherches novatrices.

Un des points-clé de sa carrière a été d'être chef d'enquête et directeur du Centre du XIXème siècle. C'est de ce poste qu'il a sans doute pu le plus diligenter des recherches en guidant de nombreux étudiants, tels Christophe Charle ou Rémi Dalisson, vers des domaines souvent divers mais toujours en rapport avec ses deux attraits principaux : politique et société au XIXème siècle.

Historien impliqué dans l'avancée de la recherche, Agulhon a été aussi dès ses débuts un militant pour la défense de la fonction publique et du statut enseignant. Dès son passage à Normale Sup' de 1946 à 1950, il est, malgré une certaine réserve personnelle, délégué syndical au SNES. Il est aussi dès cette époque un membre actif du PCF. Il garde ce militantisme et cette implication pour son métier, pour sa matière, tout au long de sa vie. C'est d'ailleurs ce qui a sans doute fait l'admiration de tous pendant toute sa longue carrière, et c'est en tout cas ce qui transpire sous la plume de tous ces historiens de renom en lisant Aux carrefours de l'Histoire vagabonde.

 

Symbolique, représentations et sociabilités : des notions agulhoniennes ?

Que reste-t-il aujourd'hui des nombreux travaux de Maurice Agulhon ? À la lecture de cet hommage, les notions de symbolique, de représentations et de sociabilités reviennent sans cesse. Il faut donc y voir, comme Laurent Le Gall l'annonce une « réverbération agulhonienne », c'est-à-dire une sorte de marque de fabrique de cet historien qui a si bien su démontrer l'utilité et l'intelligibilité de ces concepts à travers tous ces écrits.

En effet, Maurice Agulhon a été l'un des pionniers dans le domaine des représentations si chères à son ami Michel Vovelle, qui ouvre le livre. Il a aussi travaillé sur les différents rites de sociabilité, ce que met bien en valeur Jean-Noël Tardy. Comme le notent plusieurs historiens, Agulhon a été l'un des fers de lance de l'interdisciplinarité avec la sociologie et l'anthropologie. Dominique Kalifa à propos de l'apport d'Agulhon dans « l'histoire des représentations » souligne clairement son rôle majeur dans ce domaine de la recherche historique.

Maurice Agulhon a, toute au long de sa carrière, oeuvré pour faire progresser l'histoire. Il a cherché dans des domaines novateurs comme l'histoire du « genre », en accord avec les autres sciences sociales. Mais, il a aussi développé de nombreux concepts aujourd'hui des incontournables en histoire sociale.

Ce livre rend donc un vibrant hommage à ce grand historien disparu en 2014 ; Maurice Agulhon méritait un tel travail de mise en valeur de ses recherches