Dans ce roman tour à tour désinvolte et sérieux, espiègle et grave, le jeune écrivain se met dans les pas de Romain Gary et s’interroge sur les rapports complexes et paradoxaux entre la vérité et la fiction.

 

François-Henri Désérable nous avait déjà éblouis par sa virtuosité dès son premier livre, Tu montreras ma tête au peuple (Gallimard, 2013), série de récits consacrés aux derniers moments de personnages de la Révolution morts sur l’échafaud, où triomphait la littérature et où il rendait hommage à Pierre Michon, dont les talents d’illusionniste sont à nouveau salués dans son dernier roman. Il faut toute une série de hasards pour qu’il se retrouve devant cette plaque d’une rue de Vilnius en Lituanie :

« L’écrivain et diplomate français Romain Gary (Vilnius, 1914-Paris, 1980) a vécu de 1917 à 1923 dans cette maison qu’il évoque dans son roman "La Promesse de l’aube" »

C’est alors que lui revient en mémoire cette phrase : « Au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M. Piekielny. » Elle figure dans le chapitre VII de La Promesse de l’aube : ce voisin, qui croit aux prophéties grandioses de Mina Kacew pour son fils Roman, lui demande de rappeler son existence aux grands de ce monde quand il les rencontrera, comme le lui promet sa mère. Romain Gary, dans son autobiographie romancée, affirme s’être acquitté de cette demande, chaque fois qu’il a pu, ce qui nous vaut, dans le roman de F.-H. Désérable, de très belles scènes avec le général de Gaulle, la reine d’Angleterre et Kennedy, et même un mémorable numéro d’Apostrophes « spécial Romain Gary », totalement inventé et très drôle. Celui qu’il appelle la « souris triste » a disparu dans un camp de concentration, mais sa mémoire, grâce à son succès d’écrivain, n’a pas disparu. C’est d’ailleurs « aux souris tristes » qu’est dédié le roman de Désérable.

 

Une enquête dans l’histoire et dans l’histoire littéraire

Le jeune écrivain part à la recherche de M. Piekielny dans les archives de Vilnius (« Revenez lundi »), ou dans celles des camps, mais il ne trouve son nom nulle part. Au point de se demander si Gary ne l’a pas finalement inventé, comme il a affabulé un certain nombre de ses souvenirs, dans un « mentir-vrai » qui donne sa profondeur vertigineuse à son œuvre et à sa vie. Dans son roman très documenté, Désérable relate ce qu’il reste de la « Jérusalem de Lituanie », après la destruction des juifs : « Les nazis ont détruit le peuple juif, et les Soviets le patrimoine. Résultat, […] il ne reste plus rien. » On trouvera un exemple assez précis du ton qu’il adopte pour aborder l’abomination de l’histoire du XXe siècle quand il évoque la mort du père de Romain Gary, non pas « sur le chemin de la chambre à gaz », comme le prétend l’écrivain, mais « dans la forêt de Ponar, à dix kilomètres de Wilno [Vilnius], des mains d’un petit fonctionnaire de la Shoah préposé aux balles dans la nuque au bord d’une fosse, serviteur zélé de ces escadrons qui dans la langue des nazis – celle de Schiller et de Goethe et des Lieder et de la Neuvième Symphonie – endossaient le nom dont l’écho inlassablement nous écorche la gueule et nous arrache le cœur : Einsatzgruppen. »

 

Une célébration de la littérature et de ses pouvoirs

De pirouette en virevolte, on suit le romancier dans son enquête, ses digressions et ses déconvenues, qui expliquent que ce roman ressortit à la fois au genre de l’autofiction (la mère obsessionnelle qui n’imagine pas son fils sans thèse…), de la biographie d’écrivain (Romain Gary, de la naissance au suicide), de l’essai, de l’exofiction, de l’histoire (et de toutes ses tragédies). Chez lui qui n’a guère d’illusions, seule la littérature triomphe et il tente d’être à la hauteur de ses promesses et de ses pouvoirs irremplaçables et inaliénables. Romain Gary commence à écrire La Promesse de l’aube au Mexique, et reste dans sa chambre, « à ne rien faire, à rêver, à se souvenir, à mettre des mots les uns derrière les autres, à les faire danser à la queue leu leu dans une grande frénésie, et c’est peut-être cela et rien de plus, être écrivain : fermer les yeux pour les garder grands ouverts, n’avoir ni Dieu ni maître et nulle autre servitude que la page à écrire, se soustraire au monde pour lui imposer sa propre illusion. Tourner le dos au Popocatépetl. » S’il n’est pas docteur en droit, F.-H. Désérable est sans doute un écrivain à suivre, capable de tenir bien des promesses, avec humour et brio, sans renoncer à dire le monde et ses horreurs.