A l'occasion du Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris, petite présentation de ce pan méconnu du cinéma.

Il peut paraître au premier abord difficile de définir avec précision le champ du cinéma dit « expérimental » (appellation contestée par nombre de cinéastes de ce courant, qui, à l’instar de Jonas Mekas par exemple, la trouvent ghettoïsante et revendiquent de faire seulement « du cinéma »). Aussi appelé underground, différent, d’avant-garde, pur, marginal, etc., ce « genre » méconnu du grand public regroupe en effet des démarches artistiques extrêmement diverses : support argentique ou numérique, films en prises de vues réelles ou en animation, durée minime (comme le Ten Second Film de Bruce Conner) ou très longue (comme le Empire de Warhol) ; surimpressions, pellicules raturées, collages, found footage, jeux avec l'écran de projection ou avec la vitesse de défilement du projecteur… Les procédés sont pluriels, jusqu’au cinéma « élargi » : multi-écrans, installations, dispositifs live, etc. C’est la mise au premier plan d’un insistant travail sur les formes et le médium qui caractérise au premier chef ce cinéma rarement narratif, au caractère ouvert, libre, innovant et indépendant.

Parce qu’ils se développent en marge des mécanismes esthétiques et socio-économiques du divertissement de masse, ces films n’empruntent pas les canaux de diffusion du cinéma dit « commercial », ou « narratif-représentatif-industriel ». Cinéma nomade (projeté ponctuellement dans des salles traditionnelles ou des lieux alternatifs), il se fait parfois « cinéma exposé », à la frontière de l’art vidéo, et s’invite dans certaines institutions muséales.

Que l’on pense à la vertigineuse Région centrale (1971) de Michael Snow (la caméra explore, durant trois heures, un espace naturel vide de toute présence humaine), au séminal Arnulf Rainer (1960) de Peter Kubelka (exclusivement composé d’écrans noirs et blancs), au puissant Crossroads (1975) de Bruce Conner (réalisé à partir d’images d’archives d’essais nucléaires), au poétique Anticipation of the Night (1957) de Stan Brakhage (film totalement silencieux composé de courts fragments ou visions de nature) ou à l’inquiétant Outer Space (1999) de Peter Tscherkassky (film de found footage aux images maltraitées, donnant l’impression d’un film d’horreur)… On est frappés par l’incroyable diversité du cinéma dit « expérimental ». Sans cesse en recherche par rapport aux propriétés de son médium, sans cesse dans l’approfondissement sensoriel de la relation qui nous unit au monde, il investit avec ferveur toutes les possibilités du cinéma. Finalement, c’est la belle définition qu’en donne Dominique Noguez (dans son livre Éloge du cinéma expérimental) qui sonne le plus juste :

« Disons donc que toutes les fois qu’un film, de lui-même […], se rendra intéressant moins par ce qu’il montre ou raconte que par la manière dont il le montre ou le raconte […], alors nous serons du côté de la fonction poétique triomphante et donc du cinéma expérimental ».

À Paris, l’actualité du cinéma expérimental bouillonne, sans cesse en mouvement. Les associations Light Cone et Braquage organisent de nombreuses projections dans divers lieux de la capitale, et le cinéma La Clef, dans le 5e arrondissement, accueille régulièrement des séances du Collectif Jeune Cinéma. Citons également les rendez-vous « Film » du Centre Pompidou qui mettent souvent à l’honneur le cinéma non commercial, ou encore les séances mensuelles de « cinéma d’avant-garde » à la Cinémathèque française. Qu’elles soient monographiques, thématiques ou qu’elles prennent la forme de cartes blanches, ces séances constituent des moments d’échanges et de réflexion et participent à faire du cinéma expérimental un cinéma visible et vivant. En ce moment même se tient d’ailleurs le Festival des cinémas différents et expérimentaux de Paris (du 4 au 15 octobre 2017). Le festival de cinéma élargi Scratch Expanded a quant à lui proposé sa 8e édition en septembre 2016. Et chaque année en mars, la Bibliothèque du cinéma François Truffaut (Forum des Halles) organise le Mois du film expérimental et de l’art vidéo. Ainsi, l’offre est bien présente et les occasions parisiennes de découvrir cette extraordinaire forme d’art émancipé s’avèrent nombreuses.

Par ailleurs, plusieurs sites Internet permettent de visionner en ligne une sélection d’œuvres, en totalité ou sous forme d'extraits. Parmi eux, citons UbuWeb, ou encore les sites du Collectif Jeune Cinéma et de Light Cone. Même si nous rejoignons Dominique Noguez qui ne croit pas « que l’on puisse accéder au cinéma expérimental autrement que par l’enchantement d’une projection », ce catalogue en ligne constitue une vraie richesse pour le néophyte ; l’occasion de découvrir (ou redécouvrir) le rythmé Trade Tatoo de Len Lye (1937), l’épileptique Piece Mandala/End War de Paul Sharits (1966) ou encore l’hypnotique Serene Velocity d’Ernie Gehr (1970), quitte à en refaire « l’expérience » (car c’est bien de cela qu’il s’agit en premier lieu) en salle à la première occasion.