Du 13 au 15 octobre 2017, les habitants d’Uriage, près de Grenoble, interrogent en commun les actes de résister et de consentir.

« Convier la Cité à réfléchir sur ses préoccupations majeures, avec le recul et la patience du concept : c'est fidèle à cette ligne directrice que les Rencontres Philosophiques d'Uriage proposent cette année une réflexion sur le concept de résistance et son envers, le consentement. Nous avons voulu, en cette année qui commémore la création et le devenir de « l’Ecole des cadres » à Uriage (en partenariat avec le Musée de la Résistance et de la Déportation de l'Isère), réfléchir sur ce qu’est l’esprit de résistance, ses conditions, ses limites et ses faux-semblants. »

C’est ainsi que les organisateurs des Rencontres d’Uriage, La Société alpine de philosophie, présentent le nouveau programme de cette huitième édition sur le site dédié. La liste des invités est longue. Nous renvoyons à la présentation qu’en donne le site.

 

Un prix du livre philosophique

Aux côtés des spécialistes aux formations diverses qui permettent de croiser les regards sur la question, le public est convié à participer à la construction de la réflexion. En outre, quatre ouvrages ont été sélectionnés pour le Prix du Livre des Rencontres. Un jury composé de non spécialistes, présidé par Jean-Pierre Carlet   rendra son choix au terme de ces trois jours. Sont ainsi en lice, Hourya Bentouhami, pour Le dépôt des armes. Non-violence et désobéissance civile   , Manuel Cervera-Marzal, pour Les nouveaux désobéissants : citoyens ou hors-la-loi ?   , Guillaume Le Blanc et Fabienne Brugère pour La fin de l’hospitalité   , Hamadi Redissi pour L’Islam incertain, Révolutions et Islam post-autoritaire   . L’an passé le prix fut remis à Imperium, structures et affects des corps politiques de Frédéric Lordon   .

 

L’abécédaire

Après une conférence inaugurale de Philippe Barrière, historien   , « La résistance: de l’histoire au mythe ?», Anne Eyssidieux-Vaissermann, organisatrice et membre de la Société alpine de philosophie, invite des penseurs de divers horizons à planter le décor autour de quelques mots, en 8 minutes chacun :

  • C comme « Contrainte et consentement » (Alain Vaissermann, psychiatre/psychanalyste)
  • D comme « dissidence » Maryvonne David-Jougneau (philosophe)
  • D comme « droit de résistance à l’oppression » (Catherine Fillon, juriste)
  • F comme « féminin » (Raphaëlle Le Pen, lettres)
  • H comme « haine » (Philippe Saltel, philosophe)
  • L comme « lutte » (Arnaud Sorosina, philosophe)
  • R comme « Résistance(s) » (Philippe Barrière, historien)
  • S comme « servitude volontaire » (Thomas Boccon-Gibod, philosophe)
  • S comme « silence et solitude » (Jean-Pierre Carlet, philosophe)

L'obstacle majeur, on le sait, de la philosophie est un « jargon » peu aisé à saisir pour le non-spécialiste. Du moins est-ce ainsi qu’on se la représente souvent. Faux problème répondront ceux qui résistent à ce type de discours général finalement vide de réflexion. Nul besoin de rappeler en effet que la généralité a toujours été l'ennemie de la pensée. C’est ainsi que la résistance s'impose d’abord devant les pseudos évidences de ce qui revêt les oripeaux de la raison. Cette remarque toutefois à propos du langage obscur de la philosophie mérite qu'on s'y arrête. C'est ce que font ces rencontres d'Uriage en proposant un jeu autour de ce qui s'appelle un abécédaire. Si on met de côté la référence à Gilles Deleuze, l'abécédaire c'est aussi ce qui permet à l'enfant à apprendre à lire. Ainsi en va-t-il de la philosophie, travail de lecture, de déchiffrement. Il serait naïf de croire que la réflexion se donne dans la spontanéité, d’où le fait qu’elle introduit à l’écart du jeu, entendu en son sens mécanique. Gare à la chute si le jeu est insuffisant dans les rouages de la chaîne du vélo !

Philosopher donc c'est lire. Trouver du sens. Ne pas en rester à l’ânonnement en quête de signification. L’enfant qui sait lire se tient à juste distance des lettres de l’alphabet. Première forme de résistance que celle qui consiste à ne pas adhérer à n’importe quel discours.

L'originalité de ces rencontres d'Uriage, c'est de proposer au public une démarche avant la résolution d'une question. L'abécédaire à ce titre y contribue. Comprendre les multiples significations du mot "résister" passe par l'examen de son emploi. Rappelons-nous Socrate qualifié de taon par Ménon, du dialogue du même nom de Platon. Philosopher c'est résister aux évidences des affects, résister à ses propres représentations, résister d'abord aux préjugés. Ainsi l'abécédaire est-il le point de départ d'un examen de certaines de nos certitudes.

A y regarder de près les termes choisis renvoient à des conceptions plurielles de la résistance ou de l'obéissance. Le public qui souvent se méfie des mots est face à des mots du langage ordinaire. Ainsi conçoit-on la résistance comme un acte juste contre l'ennemi qui tente d'instaurer un état despotique. Quel est le point commun alors avec le western dont les héros sont souvent des prototypes du refus de la soumission à l'ordre instauré ? Résiste-t-on au despote en tant qu'homme ou à l'absence de loi qu'il symbolise ?

Résiste-t-on à un homme ou à l'absence de droit ? Autant de questions que l'intérêt porté aux mots nous renvoient. Le but de ce jeu est de mettre le public face à des questions qui surgissent de pseudos évidences. Parfois trop de lumière aveugle.

Avant-goût qui nous fait comprendre la figure exemplaire que fut celle de Socrate : plutôt boire la ciguë que de quitter son poste, résister aux chants du cygne de ses amis qui préparaient sa fuite. Une forme de résistance de la raison parmi tant d'autres. Une forme qui pose problème à partir du moment où la raison s'égare dans une rationalité technique insensée. La technique dans sa rationalité est aveugle à la question des fins. Du moins elle a toujours été définie ainsi. À quoi résister ? On a dit, aux préjugés à la précipitation non réfléchie. « Vouloir changer ou infléchir le cours du temps, personnel ou commun, requiert donc un travail de pensée: une évaluation réfléchie des conséquences de son attitude de refus, mais d’abord la perception de motifs puissants, idéaux ou exigences pour la vie humaine posées comme nécessités. Le philosophe Cavaillès, fusillé en 1944 en tant que Résistant, affirmait laconiquement à ses proches qu’il s’engageait dans la Résistance « par nécessité ». En l’occurrence, elle se justifiait par une défense de la liberté et d’un type de société démocratique où règne le pluralisme, qui s’est trouvée menacée par le régime totalitaire et l’idéologie raciste des nazis. Si la résistance est un refus de quelque chose qu’on veut vous imposer, ce refus implique aussi qu’on adhère à certaines valeurs. Ainsi, l’enjeu d’un tel questionnement est peut-être de mieux percevoir ce qui fait le prix de l’existence humaine. A quoi faut-il résister ? Quelles valeurs convient-il de défendre absolument ? Sur quels principes ne pouvons-nous pas céder ni transiger ? » Telle est la problématique qu’expliquent les auteurs des rencontres. La Boétie dans De La servitude volontaire s’interrogeait déjà sur ce qui motivait cette obéissance servile au tyran. Un atelier animé par Arnaud Sorosina, philosophe, s’attachera à une lecture du livre de La Boétie   .

 

Une philosophie populaire mais nullement triviale

« La vocation des Rencontres Philosophiques d'Uriage est de rassembler des auteurs contemporains, philosophes ou experts d'autres savoirs ouverts au questionnement philosophique, afin de permettre à un public le plus large possible de réfléchir à des sujets et des problèmes qui concernent la vie de la Cité et nous préoccupent tous. Ce qui nous réunit et qui mobilise le public est la volonté d'examiner ou de forger collectivement des outils et des concepts qui permettent de juger et d'agir aujourd'hui. Ce temps accordé à la pensée se veut un moment de rencontres, d’échanges et de partage d’idées ouvert à tous » écrivent encore les organisateurs. Retour à l’agora, l’espace public de discussion nullement confisqué par le pouvoir de quelques-uns, un espace où les paroles s’échangent sans la naïveté non plus de croire que la parole spontanée est « comme maître et possesseur » de la vérité. On retourne ici aux origines de la philosophie, à ce moment où le consentement est le fruit d’un travail de définition sur les mots, et où on respecte sans crainte l’autre dans sa capacité à ouvrir la recherche. Consentir n’est pas renoncer, mais accéder aux raisons de nos certitudes. C’est parce que j’accepte que le tyran est maître de moi. Consentir est le résultat de la résistance à soi. À suivre aux Rencontres philosophiques d’Uriage