La pédagogoie "anti-oppression" entend dépasser le cadre de l'éducation pour lutter contre les violences et les discriminations multiples.

L'approche « anti-oppression » se développe en Amérique du Nord. Potentiellement riche de suites, cette approche livre un cadre au travail pédagogique dont l’émergence s’inscrit en réalité, en parallèle, dans différents domaines.

En Amérique du Nord, la pratique anti-oppressive constitue un courant de la formation en travail social : elle consiste à ne pas seulement tenir compte du niveau interpersonnel (celui des relations entre les personnes qui composent un « groupe-classe »), mais également de l'existence d'oppressions systémiques. Dans les universités anglo-saxonnes, les enseignements pour la justice sociale mobilisent en effet également une formation recourant aux concepts d'oppressions systémiques et multiples, de privilèges sociaux...

Parallèlement, la notion d'anti-oppression est également mobilisée en pédagogie critique par Kevin Kumashiro   ). Il s'agit en particulier pour lui de prendre en compte les situations de discrimination multiples dont peuvent être par exemple l'objet les élèves LGBTI+ appartenant à des minorités racisées. Aujourd'hui, la pédagogie anti-oppression se trouve insérée dans la formation à l'école inclusive au Canada   . En somme, un champ de réflexion se dessine, qui mérite qu’on s’y intéresse.

 

Le cadre théorique de la pédagogie anti-oppression

L'approche « anti-oppression » part du constat que plusieurs systèmes d'oppression qui traversent les sociétés produisent des inégalités, de la discrimination et des violences : le racisme, le sexisme, le « classisme »   , le « capacitisme »   , etc. Ces tendances se déploient à plusieurs niveaux : interpersonnel, institutionnel, systémique. La pédagogie se propose ainsi d'agir principalement au niveau interpersonnel.

Une oppression consiste dans un préjudice que subit une personne du simple fait d'appartenir à un groupe socialement discriminé. L'envers de l'oppression réside quant à lui dans le privilège social   , c’est-à-dire dans un avantage ou une ressource auquel une personne a accès du simple fait de sa position sociale, sans que cela soit nécessairement intentionnel et qu'elle en est conscience. Par exemple, Pierre Bourdieu parle de « privilège culturel » pour les élèves de milieux favorisés qui possèdent une connivence de par leur milieu avec la culture lettrée du système scolaire. Les systèmes de privilèges sociaux se manifestent ainsi à tous les moments de l'existence.

Or dans les interactions sociales, entre autres dans les interactions professionnelles ou de la salle de classe, cela se traduit par un ensemble de micro-inégalités   et de « micro-violences »   . Ces micro-oppressions viennent rappeler systématiquement à l'individu sa place socialement minorée. Il en existe plusieurs formes. On peut prendre par exemple le cas de l'invisibilisation sociale. Il s'agit d'une forme qui agit par omission : par exemple, le groupe ethno-racial auquel appartient la personne n'est jamais représenté, n'est jamais mentionné dans les enseignements. Il est possible ainsi, à l'instar de Michel Foucault, de parler d'une micro-physique du pouvoir qui se joue dans les établissements scolaires. Celle-ci se manifeste par exemple dans les

micro-discriminations passives : ainsi lorsqu’en classe, par « indifférence aux différences » sociales, les enseignants ne prennent pas la peine d'expliciter les attendus du système scolaire à l'égard de ceux qui en sont le plus socialement éloignés.

On constate notamment que les enseignants, sans s'en rendre compte, dans leurs interactions, se comportent différemment avec les filles et les garçons. Dans les couloirs et les cours de récréation, les élèves filles se plaignent de davantage de micro-violences de la part des élèves garçons. De même, les élèves LGBT et les élèves en situation de handicaps ont plus de risque d'être victimes de harcèlement scolaire que d'autres élèves.

 

Les pratiques d'une pédagogie anti-oppression

Les objectifs d’une pédagogie anti-oppression est ainsi de lutter contre ces biais. Dans la pratique, on peut en distinguer plusieurs étapes. La première est la « conscientisation » : le terme est emprunté au pédagogue Paulo Freire. L'enseignant doit d’abord prendre conscience de sa place et de celle de ses élèves dans la matrice des oppressions c'est-à-dire dans l'ensemble des systèmes d'oppression.

La seconde étape consiste à décider d'adopter une posture d'allié-e. Etre un-e allié-e suppose d’agir comme un soutien face à des élèves qui appartiennent à des groupes socialement minorisés. Cela consiste à ne pas adopter une position de surplomb, mais une position où l'on agit avec. L'enseignant-e qui adopte une approche anti-oppressive vise ainsi à faire de sa salle de classe un espace inclusif. Cela suppose d’éviter les micro-inégalités comme les micro-violences dans sa pratique pédagogique à l'égard des élèves socialement discriminés. L'enseignant est également attentif à ce que les autres élèves appartenant à un groupe plus socialement privilégié, sur tel ou tel plan, n'inflige pas de micro-violences aux élèves socialement discriminés. Faire de sa classe un espace inclusif, c'est également être attentif à ce que les affichages et plus généralement le matériel utilisé en cours ne véhiculent pas des stéréotypes négatifs à l'égard des élèves socialement discriminés ou ne les invisibilisent pas.

Enfin, la pédagogie anti-oppression s’attache à lutter contre ses propres préjugés. Avec à la clef quatre objectifs   : a) renforcer l'estime de soi des élèves appartenant à des groupes socialement minorés pour lutter contre la « menace du stéréotype », b) sensibiliser les élèves à une vision positive de la diversité culturelle et de genres, c) apprendre aux élèves à reconnaître les préjugés et à les déconstruire, d) et favoriser la capacité des élèves à agir contre les préjugés et en faveur de la justice sociale.

La lutte réflexive contre les préjugés n'est pas limitée qu'à la pédagogie. Elle peut également trouver des applications de manière générale dans tous les espaces qui accueillent du public ou dans les espaces de travail collectif. Elle repose comme on l'a vu sur la lutte contre les préjugés négatifs et les discriminations. Elle vise à faire des lieux collectifs des espaces inclusifs où les individus ne sont pas soumis à des formes d'exclusions ou d'autres micro-violences du fait qu'ils appartiennent à un groupe socialement minoré