Une perspective occidentale sur la géopolitique chinoise
Tournée vers la sécurisation de ses approvisionnements maritimes, la République populaire est depuis des siècles une puissance continentale. L’Afrique et la géoéconomie sont ses nouveaux horizons. Remettant discrètement en cause ses principes de non ingérence, la Chine s’affirme de plus en plus comme une puissance sur les théâtres stratégiques, au sein des enceintes multilatérales et dans ses relations bilatérales.
L’attention internationale portée actuellement à la République populaire de Chine (RPC) ne se consacre guère aux pratiques néo-autoritaires du régime de Xi Jinping pourtant de plus en plus coercitives à l’encontre de la presse, des ONG, des acteurs de la scène démocratique hong-kongaise ou encore de certaines entreprises étrangères. Certes les lanceurs d’alerte et les défenseurs des droits de l’homme chinois et étrangers se montrent toujours aussi attentifs et déterminés mais leurs récriminations ne sont plus entendues à la hauteur de leurs préoccupations comme dans les années 80 et 90. La montée en puissance politico-militaire de Pékin, les rivalités inter-étatiques avec les Etats-Unis focalisent aujourd’hui l’intérêt principal des observateurs médiatiques, des experts et de la communauté des nations. Dès lors, il faut bien s’en remettre aux analyses géopolitiques et géoéconomiques pour tenter de mieux appréhender la Chine contemporaine, l’ambition de ses leaders et leurs interactions avec la scène internationale. L’abondante littérature académique et stratégique récente nous y incite. Elle stimule les débats de politique étrangère de par le monde y compris jusque dans l’expression partisane des hommes politiques candidats aux plus hautes fonctions des Etats, aux Etats-Unis, en Europe et même en France .
La France puissance Indo-Pacifique assumée, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, au statut nucléaire sourcilleux, seul Etat européen territorialement possessionné dans les océans Indien et Pacifique mais parfois diplomatiquement tentée de bâtir une politique asiatique sino-centrée a incontestablement besoin d’une compréhension particulièrement fine des jeux et intentions des dirigeants de Zhongnanhai . Une exigence qui impose une rigueur à toute épreuve dans l’écriture car les relations des Etats avec la Chine suscitent bien des récits enjôleurs et des interprétations historiques hasardeuses. Une fois encore, à magnifier la politique du général de Gaulle et sa décision de janvier 1964 ayant permis une reconnaissance diplomatique du régime en place à Pékin, on voudrait croire qu’il y a 53 ans la République a adopté la politique d’une seule Chine et rompu de son fait ses relations politiques avec la République de Chine de Tchang Kaï-check, or il n’en fut rien. Connaître les arcanes de la politique française vis-à-vis de Pékin, ses soubresauts a d’autant plus d’importance qu’il convient d’examiner la géopolitique chinoise au-delà des interprétations données par les analystes américains ou les Chinois eux-mêmes. Il convient également d’avoir en mémoire les représentations géopolitiques de notre planète vues depuis Pékin, de bien connaître l’héritage des dynasties impériales et du siècle des humiliations qui s’est achevée avec la proclamation de la République populaire le 1er octobre 1949. Dès lors quoi de plus pratique qu’un Que sais-je ? pour le plus grand nombre de ceux qui s’intéressent aux affaires du monde.
Dans un contexte géopolitique où les politiques chinoises sont source d’anxiétés voire de craintes, le directeur adjoint du programme « Asie et Chine » au Conseil européen des relations internationales (ECFR) est un des jeunes politologues français les plus qualifiés pour s’atteler à cette tâche de synthèse diplomatique, historique et stratégique. Ses séjours à Pékin au titre de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI, 2011 - 2015), à Taipeh pour le think tank français Asia Centre (2004 – 2007), dans les universités de Fudan à Shanghai et Chengchi à Taïwan ou encore sa connaissance de la langue chinoise et de la littérature stratégique américaine ont nourri un exposé aussi documenté que clair dans son énoncé pour un large public. Les étudiants découvrant les enjeux stratégiques Asie – Pacifique trouveront dans le Que sais-je ? de M. Duchâtel de manière didactique les informations indispensables, les plus connaisseurs des lecteurs une synthèse pratique et circonstanciée en particulier sur les évolutions doctrinales et des relations diplomatiques des quinze dernières années.
Au-delà de sa dimension pédagogique de qualité l’exposé de M. Duchâtel est intéressant car il reflète l’approche d’un expert travaillant pour un pôle de recherches influent auprès des centres de décision européens, des ministères des Affaires étrangères et de la Défense des Etats membres au Service européen pour l’action extérieure. Ce travail-ci n’a aucun caractère prospectif mais il est révélateur de la manière dont les experts politico-militaires posent de Washington à Bruxelles ou Paris le « problème chinois » et interprètent l’expression de puissance de Pékin dans ses relations bilatérales, les institutions internationales et dans son narratif politique. S’adressant à un public occidental, le chercheur de l’ECFR a dressé un tableau au prisme des intérêts stratégiques des Etats-Unis et des Européens et de l’Histoire entretenus par chacun notamment depuis deux décennies avec le pouvoir en place à Pékin. Sans surprise, la géoéconomie et l’Afrique ont été l’objet d’une attention particulière.
Un regard géographiquement plus décentré aurait cependant permis de mieux comprendre le sentiment d’encerclement chinois, les préoccupations sécuritaires immédiates et de long terme de la République populaire, ce que n’illustrent en rien les trop rares cartes (2) du manuscrit. Il aurait également esquissé une meilleure prise en compte de l’expression de puissance vis-à-vis des « petits » Etats. Pour cette dimension stratégique, le lecteur devra s’en remettre à d’autres travaux tels ceux réalisés récemment par Anne-Brady sur l’Antarctique ou Jean-Marc Regnault, Sémir Al Wardi et Jean-François Sabouret sur l’Océanie . En décryptant prioritairement les relations sino-occidentales, on en oublierait presque que les nouvelles routes maritimes de la Soie sont susceptibles d’aller jusqu’en Amérique du sud et que la RPC ambitionne de développer son influence au Proche et Moyen-Orient. En accordant de longs développements à l’histoire ancienne et aux années les plus récentes, la démonstration a eu pour effet d’occulter quelque peu l’importance stratégique de la péninsule indochinoise et les trois guerres qui s’y sont déroulées de 1945 à 1991. De même, le manque de place dans le format contraint des Que sais-je ? a malheureusement conduit à laisser de côté la diplomatie multilatérale notamment celle qui s’exprime dans les enceintes onusiennes ou des micro-régionalismes. Enfin, ce quasi-manuel ne permet pas de bien mesurer tous les obstacles politiques, économiques voire idéologiques que Pékin rencontre dans la constitution de ses sphères d’influence or ils sont bien plus nombreux et durables qu’on ne le pense souvent d’autant plus comme le souligne l’auteur Pékin n’hésite plus à remettre en cause le principe de non-ingérence de sa politique. A contrario, ceux qui s’inquiètent que la politique de sanctions européennes vis-à-vis de Moscou pousse le Kremlin dans les bras de Pékin sont invités à lire attentivement les pages consacrées aux relations sino-russes pour bien mesurer l’ampleur et la persistance des divergences stratégiques entre la RPC et la Fédération de Russie. En un petit nombre de chapitres, M. Duchâtel aura donc réussi à offrir le maximum d’informations et de références à ceux qui veulent réfléchir sur la réalité de la puissance chinoise, ses modes d’action voire ses ambitions mondialisées.