Les ordonnances précisent les nouvelles modalités de conclusion d'un accord d'entreprise en l'absence de délégué syndical
Comme sur d’autres sujets, l’analyse fine des mesures prévues par les quelques deux cents pages de la version des ordonnances publiées le 31 août est indispensable à la compréhension des enjeux réels. L'un d'entre eux est que parallèlement à l’extension du champ de la négociation d’entreprise, les modalités de conclusion d’un accord d’entreprise en l'absence de délégué syndical sont élargies.
Il est en effet mis fin au monopole des organisations syndicales en la matière dans les entreprises de moins de cinquante salariés. Celui-ci n’était toutefois que virtuel au regard de la très faible implantation syndicale dans ces entreprises. Le patronat poussait à ce que ce seuil puisse s’élever jusque trois cents salariés, ce qui n’a pas été retenu dans ses arbitrages par le gouvernement : on peut y voir une concession aux organisations syndicales.
Dans les entreprises plus petites, jusqu’à vingt salariés, un accord pourra être conclu directement avec les salariés. C’est là l’une des principales innovations des ordonnances, c’est aussi l’une des plus risquées. Dans la situation très asymétrique qui prévaut généralement dans les entreprises de cette taille, des employeurs pourraient chercher à imposer ainsi à leurs salariés des dégradations de leurs conditions d’emplois que ceux-ci ne seraient pas réellement en situation de refuser. Il n’est pas certain que la condition de majorité qualifiée requise pour la validation de ces accords suffise à prévenir ce risque. Ni que l’observatoire d’analyse et d’appui au dialogue social et à la négociation, prévu par la même ordonnance, qui devrait être institué au niveau départemental, mais dont les moyens restent à définir, soit en mesure d’en dresser ne serait-ce qu’un bilan sérieux.
Des accords conclus directement avec les salariés non dénués de risques
Les entreprises de moins de onze salariés n’avaient jusqu’ici pas la possibilité de conclure des accords. Désormais, l’employeur pourra proposer un projet d’accord aux salariés qui sera soumis à ratification par la majorité des deux tiers du personnel. La possibilité de négocier avec des salariés mandatés par des organisations syndicales n’a donc pas été retenue pour cette taille d’entreprise.
Les mêmes dispositions s’appliqueront dans les entreprises de onze à vingt salariés dépourvues de délégation du personnel.
Dans les entreprises comptant entre onze et quarante neufs salariés, des accords pourront être négociés, soit avec des membres du comité social et économique , soit avec des salariés, qui ne seront pas nécessairement membres de celui-ci, mais qui auront été expressément mandatés par une ou plusieurs organisations syndicales. Cette dernière possibilité ne vaut qu’à condition que l’entreprise compte plus de vingt salariés ou qu’elle dispose sinon d’un comité social et économique, sans quoi ce seront les dispositions ci-dessus qui s’appliqueront. La négociation d’un accord directement avec les salariés ne sera donc pas possible dans les entreprises où existe une délégation du personnel.
Lorsque les accords seront conclus avec des membres du comité social et économique, que ceux-ci soient mandatés ou non par une organisation syndicale, leur validation sera subordonnée à leur signature par des membres du comité représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections. La validation des accords conclus avec des salariés mandatés non membres du comité social et économique sera en revanche subordonnée à leur approbation par les salariés à la majorité, simple cette fois, des suffrages exprimés. Logiquement, l’accord conclu avec un salarié mandaté par une organisation syndicale non membre du comité social et économique et des membres de celui-ci devrait ainsi passer par une double validation.
Une atteinte au monopole syndical finalement limitée
Dans les entreprises de cinquante salariés et plus, les membres du comité social et économique, mandatés par une organisation syndicale, pourront désormais conclure tous types d’accords. Leur validité sera soumise à leur approbation par les salariés à la majorité des suffrages exprimés. En l’absence de mandat par une organisation syndicale, et uniquement dans ce cas – ce qui est une façon de préserver le monopole syndical pour les entreprises de cette taille – les membres du comité social et économique non expressément mandatés pourront également conclure des accords. Leur validité sera alors soumise à leur signature par des membres du comité représentant la majorité des suffrages exprimés lors des dernières élections. Enfin, lorsqu’aucun membre du comité social et économique n’a manifesté son intention de négocier après que l’employeur leur aura fait connaître son intention, et a fortiori dans les entreprises de cette taille dépourvues de comité économique et social pour cause de carence, des négociations pourront s’engager avec des salariés, non membres du comité, mandatés par une organisation syndicale. L’accord conclu devra alors être approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés.
En conclusion, les craintes que l’on peut avoir en relation avec ce volet des ordonnances tiennent plutôt – même s’il faudra examiner également les impacts de l’extension des contenus possibles de la négociation d’entreprise – à la dégradation qui pourrait en résulter des conditions d’emplois dans les plus petites entreprises, où les employeurs pourraient assez facilement abuser de la situation, qu’à la remise en cause du monopole syndical de négociation.
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