Jean-François Marquet est décédé il y a un peu plus de dix jours, le 19 mars dernier, à l’âge de 79 ans.

Figure marquante de la philosophie universitaire française, il a enseigné d’abord à l’Université de Tours avant de rejoindre en 1986 la Sorbonne, où il a achevé sa carrière. Grand Prix de Philosophie de l’Académie française, il a publié une demi-douzaine de livres d’histoire de la philosophie, notamment sur Schelling dont il était l’un des meilleurs spécialistes en France, et à qui l’on doit dans une large mesure le renouveau des études schellingiennes.

L’ouvrage que vient de faire paraître les éditions Belles Lettres sous le titre de Chapitres, grâce aux bons soins de Maxence Caron, est le dernier que nous aurons le plaisir de lire de sa plume – le dernier qu’il aura eu lui-même la joie de tenir dans ses mains, puisqu’il est paru exactement cinq semaines avant sa disparition. Le philosophe, qui se savait malade, semble avoir pressenti que ce livre aurait valeur de testament : "Avant de quitter cet ouvrage", écrivait-il dans l’avant-propos, "le dernier, sans doute que nous proposerons au public, nous voudrions aussi remercier les lecteurs et les auditeurs qui, depuis un demi-siècle, ont bien voulu nous conserver leur attention et dont certains sont devenus des amis."

Philosophe difficilement classable, Jean-François Marquet a multiplié, tout au long de sa carrière, les champs d’étude et les angles d’attaque. La philosophie idéaliste allemande s’est certes taillée la part du lion dans ses diverses publications (ce que confirme encore le volume des Belles Lettres, recueillant des textes publiés entre 1990 et 2013, et où six études sur trente deux portent directement sur Schelling, deux sur Hegel, une sur Fichte et deux sur "le mystère de la trinité dans l’idéalisme allemand" et "Dante dans l’idéalisme allemand"). Toutefois, l’auteur s’est également vivement intéressé à Heidegger (surtout le second Heidegger), Pascal, Bergson, Ravaisson, Schopenhauer, Kant, Rosenzweig et même Gilbert Simondon dont on ne sait guère qu’il fut son professeur de terminale (L’anecdote est racontée dans l’excellent livre d’entretiens accordé à Philippe Soual en 2013, publié dans la collection "Les dialogues des petits Platons" sous le titre de Le vitrail et l’énigme)). Remarquable connaisseur de la Gnose et de la mystique chrétienne, il était également un grand lecteur de littérature, à laquelle il a consacré l’un de ses plus beaux essais en 1996 sous le titre de Miroirs de l’identité. La littérature hantée par la philosophie   .   

Elève en khâgne de Jacques d’Hondt qui l’a initié à Hegel grâce à un cours d’un an sur la Phénoménologie de l’esprit, il a également pu suivre à l’ENS de Saint-Cloud l’enseignement de Martial Guéroult. Puis ce sont les salles de conférences ou de séminaires de Jean Beaufret et de Jacques Lacan qu’il fréquenta assidûment – pour ce dernier, à l’hôpital Saint-Anne, en 1960-1961. Mais en dépit de ces professeurs prestigieux dont il se reconnaissait volontiers redevable, Jean-François Marquet n’aura jamais eu de maître à proprement parler. C’est à sa seule curiosité insatiable qu’il dut la découverte de Schelling, et à ses lectures maintes fois reprises dans le texte original qu’il dut de proposer une interprétation qui demeurera pour longtemps l’une des plus éclairantes jamais proposées.

Le philosophe qui vient de nous quitter, qui professait paradoxalement que la philosophie avait "fait son temps", ne quittera pourtant pas de sitôt notre pensée. Et s’il est vrai, comme me le murmurait l’une de ses anciennes étudiantes, qu’avec la disparition de Jean-François Marquet, c’est toute une époque qui se clôt, nul doute que ses œuvres et son style inimitable d’historien de la philosophie continueront d’inspirer les générations à venir