Au Rond-Point du 1er au 26 mars, Honneur à Notre Élue, mis en scène par Frédéric Bélier-Garcia, ou les infortunes de la vertu, ou quand l'ange politique fait la bête.
« Notre Élue » (Isabelle Carré) est maire d'une petite ville portuaire. Sa vertu semble irréprochable, à tel point que tout le monde l'admire, ses amis comme ses ennemis. Elle remporte toutes les élections depuis dix ans, jusqu'au jour où ses parents (Chantal Neuwirth et Jean-Paul Muel), dont elle avait dit à son mari (Romain Cottard) et à ses enfants qu'ils étaient morts, sonnent à sa porte.
La scène, tendue de tapisseries anciennes qui changent d'aspect selon l'éclairage, représente tour à tour une salle de meeting, un appartement, une chambre à coucher et un gymnase. L'atmosphère créée par le décor, qui mêle ainsi le mobilier d'un lieu public à celui d'un appartement en ville, figure la collision de l'espace public et de l'espace privé, c'est-à-dire l'événement fâcheux auquel « Notre Élue » doit faire face.
Celle-ci accueille froidement ses parents. On ignore pourquoi elle a voulu les enterrer. Quant à eux, pour se venger de l'accueil glacial qu'elle leur a réservé, ils décident de s'installer chez elle, et d'y semer la zizanie. Non contents de monter l'un contre l'autre la femme et le mari, et d'écorner la bonne éducation des enfants, ils prétendent auprès des citoyens que « Notre Élue » est une mère déplorable et une fille mauvaise. La confiance des citoyens chancelle. S'ajoute alors un petit scandale de corruption dont elle n'est qu'indirectement responsable : son collaborateur Keller (Jan Hammenecker) confie à l'Opposant (Patrick Chesnais), son adversaire politique, que « Notre Élue » a fermé les yeux sur un mic-mac foncier qu'il avait organisé à son profit. Si bien qu'au bout du compte, elle perd les élections et c'est l'Opposant qui les remporte.
Cette pièce tient davantage du conte ou de la fable politique que d'une critique de la démocratie. Les élections sont au cœur de l'intrigue. Mais ce qui intéresse Marie Ndiaye est moins de parler d'idées que de révéler les bizarreries psychologiques des responsables politiques. Ces personnages sont improbables et contradictoires. Le caractère fantasque et absurde de leur comportement confine au ridicule et provoque le rire. Cet effet comique donne aussi à réfléchir.
Dénoncer l'idolâtrie
Tous les personnages de la pièce gravitent autour de « Notre Élue ». C'est une femme qui arbore sa probité candide dans ses pantalons et ses cols roulés blancs. Elle est d'une gentillesse imparable, et implacable. Il est impossible de la prendre en faute, car elle fait tout pour n'en commettre aucune, et pardonne toutes celles des autres.
Si bien que le sentiment qu'éprouve le spectateur à son égard est comparable à celui que lui ferait le froid d'une surface lisse et aseptisée de cabinet médical. Pour les citoyens, et surtout pour l'Opposant, « Notre Élue » est une espèce de Notre-Dame sacrée. Pleine de sa belle miséricorde, elle suscite un amour dévot chez les hommes et chez les femmes. On l'admire, on l'adore, on la désire et la chérit avec le respect qu'inspire la sainteté. C'est purement de l'idolâtrie, celle-là même que cultivent certains représentants politiques. Dans ce sens, les soutiens de « Notre Élue » révèlent cette tendance que toute forme de représentation politique induit, même en démocratie : on ne peut faire abstraction d'une forme d'amour ou du moins d'affinités électives envers ceux qui défendent des programmes. Si bien que l'on aime toujours aussi celui ou celle à qui l'on ne devrait donner sa voix que pour ses idées.
Mais « Notre Élue » n'est pas la sainte que l'on croit. Les parents disgracieux de la maire permettent de montrer au spectateur et à la communauté des citoyens que celle qu'ils adorent n'est pas parfaite. Si les citoyens croient à la diffamation que répandent ses parents, nous qui voyons comment « Notre Élue » se comporte réellement à leur égard, c'est sa triste personnalité qui nous est révélée. Elle a renié ses parents, elle les accueille avec une gentillesse résignée bien qu'elle les haïsse. Elle souhaite et il lui tarde de les voir partir. « Notre Élue » est une femme comme les autres, c'est à dire imparfaite : mais chez elle, la miséricorde cache le désir d'être au-dessus de tous et de tout. Elle ne veut rien demander, rien recevoir et tout donner. Mais loin d'être une sainte, elle est seulement incapable d'aimer.
La petitesse de l'homme politique
Face à cette figure de la femme qui a le défaut majeur de n'avoir aucun défaut, l'Opposant représente l'homme dans toute sa petitesse, et par là il est attachant. Célibataire endurci, il écarte pourtant sa peur du couple et prend pour compagne une ancienne partisane de « Notre Élue ». Si tous les deux la vénèrent, cela ne les empêche pas d'essayer de la vaincre. Comme on pouvait s'y attendre, quand l'Opposant remporte les élections à la toute fin de la pièce, il est effondré : « Notre Élue » était sa raison d'être. Il voulait à tout prix gagner les élections, sans doute, mais non pas pour faire triompher ses idées, ni pour le plaisir de gagner, mais à la seule fin de ressembler à « Notre Élue ». L'ancienne maire détrônée, son idéal s'effondre et il bafouille un discours catastrophique : sa vie n'a plus de sens.
L'Opposant est bien le personnage le plus sincère et le plus humain de la pièce : il aimait de tout son être celle qui n'aimait personne. Il l'aimait d'un amour absurde et impossible.
Si la pièce fait nécessairement écho au contexte de la campagne présidentielle, elle a toutefois été écrite il y a trois ans. Plus qu'une pièce d'actualité et qu'une pièce politique à proprement parler, Honneur à Notre Élue doit être comprise comme cet avertissement qui nous rappelle que le monde politique est, lui aussi, un monde humain, trop humain.
Du 29 mars au 7 avril 2017 à Aix en Provence, les 5 et 6 avril à Nantes et du 11 au 20 avril à Lyon.
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