Le développement du travail indépendant doit-il conduire à laisser une plus grande liberté contractuelle aux parties ?

Le nouveau rapport de Jacques Barthélémy et Gilbert Cette, commandé par l’Institut de l’entreprise   et la Fondation Terra Nova, n’a pas les qualités d’exposition, quoi qu’on pense de leur contenu, de leurs ouvrages précédents Réformer le droit du travail   ou Refonder le droit social   . Ouvrages qui avaient contribué à alimenter, avec d’autres, les réflexions qui ont conduit à la loi travail.

Il porte, c’est en tout cas son point de départ, sur les protections juridiques (individuelles, collectives et de protection sociale) dont devraient bénéficier les travailleurs indépendants et, plus précisément, sur la manière dont il conviendrait de les instituer. Il s’agit ainsi avant tout d’une contribution à caractère doctrinal, comme les auteurs le signalent.

La qualification grandissante de ces travailleurs justifierait, selon eux, des protections allégées par rapport à celles que peut procurer le droit du travail. A l’image de celles qu’ils souhaitent également pour toute une partie des travailleurs salariés (mais sans donner d’indication précise sur la part qu’ils représenteraient), dont les capacités individuelles de négociation, à les suivre, seraient aujourd’hui suffisantes pour se passer des « lourdeurs » du droit du travail. Et s’en tenir aux protections offertes par un socle de droits minimaux, ne faisant pas obstacle ou le moins possible et certainement pas plus que nécessaire, contrairement au premier, à la liberté contractuelle des parties.

 

Des droits minimaux applicables à tous les travailleurs

Ces droits minimaux auraient ainsi vocation à s’appliquer à tous les travailleurs, qu’ils soient indépendants ou salariés. Les garanties autrement plus importantes qu’offre aujourd’hui le droit du travail seraient ainsi réservées aux salariés les moins qualifiés.

Le dispositif juridique proposé offrirait une alternative aux deux voies couramment employées pour faire bénéficier les travailleurs indépendants de protections juridiques. A savoir : soit d’étendre aux travailleurs indépendants, sous certaines conditions, les garanties dont bénéficient les salariés. Soit de définir les protections spécifiques applicables aux travailleurs indépendants dans certaines situations, de forte dépendance économique essentiellement.

Ce socle de droits minimaux comprendrait à la fois des droits de la protection sociale, des droits collectifs (droits de négociation collective et à l’action collective) et des droits individuels (droits à la dignité, à la justice et à des revenus récents, droit à la santé aussi), dont l’ouvrage cherche à montrer, dans ses derniers développements, qu’ils pourraient, sans trop de difficultés, être étendus à tout travailleur, que celui-ci exerce un travail salarié ou non.

Il n’est toutefois pas très clair dans l’ouvrage si et comment les travailleurs indépendants les moins qualifiés bénéficieraient de protections renforcées. Dans la chronique que les auteurs ont consacrée aux travailleurs d’Uber   , ceux-ci conviennent que le niveau des protections devrait être plus élevé pour ces travailleurs que pour les travailleurs indépendants de la première catégorie. Mais ils renvoient pour cela au même socle de droits fondamentaux devant s’appliquer à tous. Si bien qu’il n’est pas évident de saisir comment celles-ci pourraient être renforcées.

Ils précisent certes dans cet ouvrage qu’« il s’agit d’identifier un socle de droits fondamentaux du « citoyen-travailleur », socle complété par des protections additionnelles en liaison avec le degré d’autonomie »   . Et laissent entendre qu’aussi bien ce socle que les protections additionnelles pourraient être définis, tous les deux, dans le cadre de négociations collectives, élargies au travail indépendant, dans les branches et les entreprises (dans le prolongement des orientations adoptées par la loi travail). Mais sans développer davantage ces points s’agissant en particulier des travailleurs les moins qualifiés.

 

Des protections modulables en fonction du niveau d’autonomie ou de dépendance

L’évaluation de l’autonomie du travail reste l’autre point délicat, sur lequel les auteurs n’offrent malheureusement que très peu d’indications (au-delà de quelques exemples n’ayant qu’une valeur anecdotique).

On peut admettre que le travail indépendant fasse désormais une place plus importante que par le passé au travail très qualifié, dont l’appréciation se limite toutefois dans les statistiques présentées par les auteurs à la détention d’un diplôme du supérieur et/ou à la part de secteurs identifiés comme présentant plutôt des emplois autonomes, typiquement les « activités spécialisées, scientifiques et techniques ».

Il est moins clair en revanche que ces caractéristiques déterminent à elles seules, dans la plupart des cas, une capacité de négociation suffisante pour ces travailleurs face à un donneur d’ordre ou face à un employeur, puisque les auteurs étendent leurs analyses aux salariés exerçant un emploi très qualifié, pour pouvoir se passer d’un cadre plus contraignant. En effet, l’usage des technologies de l’information et de la communication et le développement de l’économie numérique donnent-ils réellement accès, comme les auteurs semblent le croire, à un niveau d’autonomie tel que la partie faible au contrat n’ait plus besoin d’être protégée ? Il nous semble que l’on puisse en douter. Et cela nécessiterait, en tout cas, d’autres investigations