Tous les jeudis, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Cette semaine, pourquoi ne pas s'intéresser aux façons très... personnelles de signer chez les rois mérovingiens ?

 

Signer des documents est un acte de la vie quotidienne qui s’est même considérablement facilité ces derniers temps. Ainsi, pour signer mon contrat de travail, le service des ressources humaines m’a envoyé le pdf que j’ai pu signer sur mon ordinateur avant de leur renvoyer. Rien de plus facile : à vrai dire, même quelqu’un d’autre que moi aurait pu le faire, ce qui pose quand même la question de la validité des signatures électroniques. Mais les signatures manuscrites sont-elles vraiment plus fiables ? Après tout, pour des documents où personne n’ira vérifier, rien n’est plus simple que de forger une fausse signature à base de trois traits et deux gribouillis…

Les choses étaient autrement plus compliquées pour les documents médiévaux. Un contrat passé entre deux personnes devait ainsi systématiquement être conclus devant témoin ; à partir du XIIIe siècle apparaissent des professionnels de validation de tels documents : ce sont les notaires. C’est le début des procédures administratives compliquées et de la mise par écrit d’innombrables actes du quotidien. Mais même avant cette époque les gens ne plaisantaient pas avec la validité d’un écrit, qui a toujours une valeur sacrée.

 

Par la barbe de Merlin… !

L’exposition Les Temps mérovingiens au Musée de Cluny présente en ce moment des chartes et des diplômes de cette époque. Nous sommes avant le IXe siècle et l’écrit n’était pas encore aussi répandu : ces actes n’en ont alors que plus de valeur. Ils témoignent de procédures solennelles, auxquelles l’écrit confère une portée symbolique et religieuse supplémentaire. On y voit, comme aujourd’hui, les noms des individus parties prenantes de l’acte, mais également le sceau royal, qui est un signe supplémentaire servant à valider et authentifier le document.

Le sceau est un élément courant dans les documents médiévaux. À l’époque mérovingienne, il est réservé au roi, mais progressivement il se diffuse vers les grandes institutions, religieuses notamment. Donc jusqu’ici rien de bien surprenant. Mais quelle ne fut pas la surprise des chercheurs et des archivistes de découvrir dans ces sceaux… des cheveux ! Et pas question d’imaginer qu’un cheveu ou un poil de barbe serait malencontreusement tombé sur la cire encore chaude : ce sont des mèches entières qui sont intégrées au sceau, ce qui ne doit donc rien au hasard. Qui plus est, ce n’est pas un seul document, mais toute une série. La pratique semblait courante, répandue : au moins six des onze sceaux étudiés comportent des poils ou des cheveux humains. Et dans certains sceaux, les signataires semblent même être allés jusqu’à faire suivre aux cheveux véritables la ligne de la chevelure du  roi dessinée sur le sceau !

 

Les Samsons mérovingiens

Mais pourquoi, pourquoi mettre des poignées de cheveux ou de poils dans un sceau ? Quand on pense à l’image d’Epinal des « rois chevelus » mérovingiens, la réponse est facile. Les chercheurs sont prudents, mais force est de constater que les cheveux sont un symbole du pouvoir essentiel pour les Mérovingiens. L’association des cheveux et du pouvoir est bien ancrée depuis longtemps : les traditions germaniques elles aussi insistent sur l’importance de la chevelure pour symboliser l’autorité ; l’image biblique de Samson, dont la force surhumaine tire son origine de ses atours capillaire, est elle aussi bien présente dans l’imaginaire des « rois chevelus ». Être chevelu, c’est manifester aux yeux de tous son pouvoir et statut social.  À l’inverse, la tonte des cheveux pour les rois mérovingiens est elle aussi un symbole de déchéance et de déposition.

Si les cheveux sont un attribut du pouvoir, alors mettre des cheveux dans un sceau reviendrait finalement à mettre un peu du corps royal et donc du pouvoir royal dans l’acte. On ne peut pas en être absolument certain, mais on peut supposer que ce sont bien les siens, garants de la validité de l’acte parce qu’ils sont les signes de sa valeur, de son autorité et de son pouvoir sur les hommes.

 

Le pouvoir des symboles et les symboles du pouvoir

Vous imaginez vous acheter une maison, aller chez le notaire, et en-dessous de votre signature, coller une petite mèche de vos cheveux ? Ou alors François Hollande en voyage diplomatique en Chine, qui signe un contrat essentiel pour l’économie française et qui s’arrache trois poils de barbe à apposer sur le document ? (oui, ok, Hollande n'a pas de barbe : arrêtez de couper les cheveux en quatre !). Non, clairement, ce n’est plus dans les mœurs... Notre rapport à la signature a radicalement changé. Dans nos sociétés, la signature n’est plus quelque chose qui engage l’individu dans sa totalité.  Les rois mérovingiens au contraire donnaient de leur personne pour assurer la validité de l’accord mis par écrit et transmettaient ainsi une part de leur autorité dans le parchemin. Sceller un acte impliquait le corps même du roi et l’engageait de façon bien plus personnelle, voire intime.

Est-ce à dire qu’on respectait plus les accords scellés au VIIIe siècle que les contrats signés au XXIe siècle ? Difficile à dire, et à vrai dire, sans doute pas… Mais le poids sur la conscience et sur l’honneur d’une infraction de ce genre était plus lourd et que des institutions, notamment religieuses, ne se privaient pas pour accuser de parjure ceux qui s’y risquaient. L’honneur et donc la vie sociale de l’individu pouvaient alors être mis en péril. Aujourd’hui à l’inverse, des Etats signataires du traité de Paris ne l’ont toujours pas ratifié, des représentants de l’Etat accusés de fraude fiscale s’en tirent à bon compte et nous autres, particuliers, signons des déclarations sur l’honneur sans se souvenir bien de ce que cela pouvait vouloir dire. 

À bien y réfléchir, je vais voir s’il est possible de signer ma prochaine déclaration d’impôt en ligne et d'envoyer quelques cheveux au fisc…

 

Pour aller plus loin :

- Philippe Charlier, Marie-Adélaïde Nielen, Agnès Prévost, « Les sceaux des "rois chevelus". Une énigme médiévale », Archéologia, n° 504,  p. 40-47, 2012.
- Les Temps Mérovingiens, 26 octobre 2016, 13 février 2017, Musée de Cluny.
- Une vidéo de l'Institut national du patrimoine.
- Geneviève Bührer-Thierry et Charles Mériaux, La France avant la France (481-888), Paris, Belin, 2010.