L'ouvrage d'un géographe conçu pour un large public présente les mécanismes du climat et fait le pari de l'adaptation.

Le réchauffement global est un fait indubitable que seuls des politiciens de mauvaise foi mettent en doute. Chez les personnages qui placent l’honnêteté intellectuelle au rang des vertus indispensables en politique, une fois que ce fait est acté, il reste deux questions. La première porte sur la cause du réchauffement, la seconde sur ses impacts. La cause du réchauffement est double : elle est en (petite) partie liée à l’évolution des positions respectives du soleil et de la terre, elle est en très grande partie due à l’émission de gaz à effet de serre. Il est donc incontestable que les activités humaines ont une part de responsabilité dans l’affaire.

La question des impacts est beaucoup plus complexe. Le petit livre de Denis Lamarre, climatologue à l’Université de Dijon, est un des seuls ouvrages qui aborde cette question avec prudence et précision. D. Lamarre construit son exposé en trois temps. Il explique d’abord que si le réchauffement est bien global, cela n’implique pas qu’il existe un climat global. Ce point est essentiel et presque toujours ignoré. Dans un second temps D. Lamarre explique qu’un climat est avant tout un potentiel, pas une détermination. Enfin il termine par un « aperçu de géographie climatique ».

 

Il n’existe pas de climat global

Cette affirmation est fondamentale. Elle ne signifie en aucun cas une mise en cause de type climato-sceptique. Au contraire, elle expose une problématique scientifique essentielle : un réchauffement global ne provoque pas un climat global, mais altère des climats locaux, tous différents. Chaque climat local réagit à sa façon, et en fonction de facteurs qui le contrôlent localement, facteurs qui ne sont pas nécessairement climatiques : il n’est pas contradictoire , par exemple, de voir que le niveau de la mer s’élève presque partout, mais baisse en Scandinavie, où la tectonique positive est plus rapide que la dilatation des océans due au réchauffement. Il y a tout simplement un saut d’échelle : à l’échelle de l’ensemble de l’atmosphère il y a réchauffement à cause des gaz émis par les activités humaines. Mais à l’échelle du climat ?

En fait, climat est un mot qui désigne un lieu caractérisé par des températures, des précipitations, des vents, de la nébulosité… Un climat est toujours lié à un lieu. Il en est même dépendant, au sens le plus déterministe du terme. Le climat est dépendant de l’altitude, donc du relief et de la tectonique. Il est dépendant de la distance à la mer, donc de continentalité. Dans nombre de métropoles, le climat local est dépendant des processus qui créent un ICU (îlot de chaleur urbain). L’idée importante est que le climat n’est pas quelque chose qui s’impose au territoire, mais plutôt que le territoire dans ses composantes naturalistes et sociales module grandement le climat.

 

Le climat est un potentiel

En ce sens, selon D. Lamarre, les climats sont des potentiels. Cela signifie d’abord qu’ils ne sont pas fixés pour l’éternité, et qu’ils peuvent changer. D. Lamarre écrit donc que les climats changent, et que les pouvoirs publics et les agents sociaux économiques sont actifs dans ces changements   . Il aborde également l’éventuel lien qu’il y aurait entre température et bien-être. Certains travaux affirment qu’une température moyenne de 13 ° est celle qui permet le mieux à l’économie mondiale de fonctionner, et que si elle s’élève, l’économie fonctionnera moins bien. D. Lamarre se montre très sceptique à l'égard de cette affirmation, et récuse le fait que le fonctionnement optimal de l’économie mondial soit à ce point lié à une température mondiale moyenne. Il donne alors de nombreux exemples pour démontrer que « le potentiel climatique est territorialisé »   et que tel climat localisé à tel endroit n’implique pas forcément les mêmes contraintes (risques et atouts) que s’il était localisé à un autre endroit. A ce sujet, il s’appuie sur le travail de son collègue Vincent Dubreuil, qui écrit que « la sécheresse est un risque climatique à géographie variable »   . L’enjeu est donc de penser le climat comme la conjonction d’un phénomène physique et d’un usage économique : « la perception du vécu par la société est une donnée culturelle » qui doit être intégrée à « l’évaluation du potentiel climatique »   .

 

Aperçu de géographie climatique

La dernière partie de l’ouvrage, intitulée « géographie climatique », aborde l’impact du changement climatique sur les vignobles (Bourgogne oblige), l’impact des villes sur le climat et les questions de pollutions de l’air, et pose un enjeu épistémologique. Selon D. Lamarre le rôle actuel des géographes climatologues devrait être « d’interpréter le potentiel climatique dans une optique évolutive », c'est-à-dire d’étudier le climat, non en tant qu’il est fixe, mais en temps que son changement peut être utilisé à bon escient.

Ce petit livre pose donc beaucoup de questions scientifiques et politiques. Il propose aussi des possibilités de réponses politiquement engagées. D’une manière générale, sans être le moins du mode climato-sceptique, D. Lamarre pose que le changement global n’est pas négatif par nature. Dès lors qu’on conçoit les climats comme des phénomènes évolutifs, en partie forcés par les activités humaines, on doit selon lui pouvoir penser que les modifications anthropiques actuelles ne sont pas en soi et nécessairement néfastes. Il propose alors un choix politique clair : si l’atmosphère se réchauffe et que les climats changent, même si des événements extrêmes sont plus fréquents, nous pouvons, en tant que sociétés humaines, faire avec.

Tout aussi claire serait une position politique opposée : le changement global a suffisamment d’effets négatifs pour qu’il soit indispensable de le combattre. Chacun choisit son camp semble ainsi être devenu l’enjeu politique décisif, alors qu’un nouveau président prend sa place aux USA. Le livre a cependant un autre intérêt que de se positionner politiquement. Il donne à réfléchir plus précisément à ce qu’on pense être le changement environnemental, en différenciant clairement (et justement) les phénomènes globaux et les impacts locaux. De ce fait, il incite à la nuance et évite les généralisations uniformisantes.

Terminons donc sur deux exemples factuels. Aujourd’hui la température moyenne du globe est de 14°6 degrés sur l’année avec le mois le plus froid (en moyenne) à 12°5 et le plus chaud à 16°. Existe-t- il sur terre un lieu qui ait ce climat ? La réponse est « aucun », du moins aucun qui soit doté d’une station météo et de mesures solides et durables. Le lieu qui s’en approche le plus est l’île d’Amsterdam, avec 14°1 en moyenne et une amplitude thermique de 6°. Si l’on calcule la température moyenne du globe pour les terres émergées uniquement (donc sans les océans et mers, soit sans 72 % de la surface, mais avec 100% des lieux habités), on obtient une température moyenne de 9°, avec un mois chaud à 14°5 et un mois froid à 3°. Or, il existe un lieu qui a exactement ce climat, c’est Édimbourg en Ecosse. La question que pose le livre de Denis Lamarre est alors la suivante : si le réchauffement global se poursuit, quelle importance prend le fait qu’Édimbourg verrait son climat ressembler à celui d’Oxford ? Est-ce un enjeu environnemental ou un défi culturel ?

 

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