Un vade-mecum hybride sur une ressource essentielle... qui tombe un peu à l'eau?
L'eau, cette ressource essentielle à la vie humaine, si elle n'est pas une ressource rare à proprement parler (la quantité d'eau sur Terre est toujours la même) répond à des enjeux environnementaux, économiques et politiques majeurs et complexes. Il était donc de bon augure de lui consacrer un livre piochant dans les différentes disciplines (géographie physique, climatologie, histoire, sciences politiques, etc.) pour aider le lecteur curieux mais non-expert à mieux comprendre les enjeux de cette ressource. Malheureusement la construction de l'ouvrage, parfois décousu, et les nombreuses imprécisions, n'en font pas l'ouvrage de référence qu'il aurait pu devenir. Les chapitres peuvent se lire indépendamment, et les lecteurs ignorant tout des enjeux liés à l'eau, à la recherche d'une introduction plaisante (et pas trop rigoureuse) y trouveront peut-être leur bonheur. Les autres pourront sans doute se contenter des deux derniers chapitres.
L'homme et l'eau s'ouvre sur un premier chapitre, “Le cycle de l'eau et le changement climatique”, qui s'attache à rappeller des éléments de géographie physique, et constitue ainsi sans doute une introduction utile aux lecteurs novices. Le deuxième chapitre, “L'homme et la maîtrise de l'eau”, a ensuite le mérite de souligner l'importance des impacts environnementaux de toutes les techniques hydrauliques modernes, des barrages au dessalement de l'eau de mer en passant par la captation d'eau fossile ou fluviale. Au-delà des enjeux évidents de consommation énergétique (dessalement) ou de raréfaction (nappes phréatiques), l'ouvrage insiste sur des aspects moins connus. Par exemple, sur le fait que le pompage de l'eau fossile, en augmentant la quantité totale d'eau dans l'hydrosphère, pourrait cependant contribuer au dérèglement du climat.
Dans le troisième chapitre, “Des ressources hydriques sous haute pression”, les auteures commencent à aborder des aspects plus politiques ; malheureusement avec des imprécisions, voire des inexactitudes. Prenons le cas de la ville de Flint, traité à la fin du chapitre. Cette ville du Minnesota a en effet été victime d'une contamination au plomb par ses canalisations d'eau, qui n'a pas été traitée par le gouvernement américain dans des délais jugés raisonnables, et qui a eu des impacts sévères sur la santé de plusieurs habitants, alors que la population qui y vit est majoritairement pauvre et afro-américaine. A ce sujet, les auteures parlent d'un premier “vrai cas” de racisme environnemental. Or si cette notion a des bases solides, voir dans l'épisode de Flint une première, c'est à la fois ignorer sciemment tout l'historique du racisme environnemental - que l'on fait généralement remonter au cas de la décharge de PCB dans le comté de Warren dans les années 1970 - et commettre une erreur de traduction: l'article du New York Times qui est cité par les auteures estime en effet que le cas de Flint “smacks of” - c'est à dire, pour rester au même niveau de langage, “sent à plein nez” - le racisme environnemental. Ce qui ne revient pas à l'"inaugurer".
Les aspects géopolitiques et économiques sont abordés dans un quatrième chapitre intitulé “Le prix de l'eau”, sans doute le plus pertinent de l'ouvrage. Il propose notamment un tableau synthétique des régions du monde où des tensions hydriques existent, tout en présentant le concept d'"hydrodiplomatie". Surtout, ce chapitre propose une réponse convaincante à l'éternelle question de la compatibilité de l'intérêt général et du marché, en prenant notamment l'exemple de la Grande-Bretagne, où la privatisation de la fourniture de l'eau a entraîné une perte considérable d'efficience économique et solidaire. Enfin, dénonçant la responsabilité des pays industrialisés, ce chapitre n'oublie pas de mentionner les aberrations réglementaires et organisationnelles qui, en France par exemple, rendent l'eau gratuite ou quasi-gratuite à son principal pollueur: l'agriculture conventionnelle. A en croire les auteures, qui ne citent malheureusement pas leurs sources ni ne spécifient de quelle eau on parle, l'agriculture serait en effet à l'origine de 33% de la pollution organique, et de 75% de la pollution azotée.
Enfin le dernier chapitre, “Quelles solutions?”, a le mérite de bien distinguer entre des solutions invasives, aux conséquences de long-terme incertaines (le dessalement de l'eau de mer avec l'énergie nucléaire, la captation d'eaux fossiles), et des solutions vertueuses, autant politiques que techniques. S'éloignant du gigantisme des méga-projets comme le barrage des Trois-Gorges en Chine, ces solutions vertueuses passent par des aménagements décentralisés n'affectant pas de façon significative leur environnement, comme les micro-barrages du Népal. Surtout, elles invitent à changer de modèle agricole, de l'agro-écologie, modèle reposant sur les interactions entre les espèces et accessible à tous, à l'agriculture climato-intelligente, critiquée pour son utilisation des O.G.M., en passant par l'agriculture numérique, qui permet, via un attirail technologique de sondes et de drones fermiers, d'ajuster au mieux l'irrigation. Les auteures remarquent, évidemment à juste titre, que si cette agriculture peut permettre d'utiliser les ressoures en eau de manière plus efficace, “l'agriculteur numérique n'est pas autonome, dépend d'entreprises privées, de logiciels informatiques et d'outils technologiques onéreux.” . Sans compter les gigantesques ressources en eau nécessaires à la fabrication de cet équipement donc (dommage de n'en avoir pas proposé une estimation!).
Les nombreuses imprécisions ainsi que l'absence de définitions claires et systématiques (le lecteur non-expert connaît-il le sens de “ripisylve”?) et de références fiables (“CNRS” tout seul n'est pas une source utilisable) ôtent malheureusement à l'ouvrage beaucoup de son attrait. Oscillant entre fiche technique (comment fonctionne l'osmose inverse pour le dessalement de l'eau de mer?), tentative encyclopédique (quels sont les noms des grands barrages construits en France au XVIIIème siècle?) et essai politique (que peuvent faire l'individu et le législateur pour mieux gérer une ressource à la croisée des enjeux?), on ne peut que regretter que les auteures ne se soient pas toujours donné les moyens de leurs ambitions, malgré une fin d'ouvrage plus stimulante.
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