La véritable histoire de Florence Cestac

Il était temps. Avec une exposition à la galerie Martel et une invitation d’honneur pour le dernier salon SoBD, Florence Cestac est fêtée. C'était l’occasion de rencontrer l’auteur de Filles des oiseaux et d’assister à une conférence réunissant pour la première fois depuis belle lurette certains des protagonistes de La véritable histoire de Futuropolis. À travers la librairie, puis la maison d’édition Futuropolis, F. Cestac et É. Robial ont contribué à l’éclosion d’une nouvelle bande dessinée, de Jacques Tardi à Joost Swart, en passant par Philippe Druillet. Cestac, c’est le style gros nez fignolé, l’émergence de la gente féminine, le grand prix de la ville d’Angoulême en 2000, qui récompense l’ensemble de son œuvre, et une certaine modestie.

 

Au cœur des Trente Glorieuses

Avec Filles des oiseaux, Cestac replonge dans sa prime jeunesse pour en tirer une fiction à forte teneur autobiographique. Dès la première planche, l’immense dortoir du pensionnat et l’arrivée des menstruations pour Thérèse glacent le récit. Pourtant, la gamine rencontre très vite sa future complice, Marie-Colombe de Neuilly. Au sein de ce monde ultra-féminin, l’amitié avec cette jeune délurée sert de fil rouge. Cestac dépeint la période de transition, médiatrice des Trente Glorieuses, après la reconstruction post-1945 et avant la déconstruction de Mai 68. L’épisode au cours duquel Marie-Colombe apprend l’assassinat de JFK situe l’histoire et révèle la différence culturelle d’alors. Ensuite, l’ingénue normande découvre Neuilly, ses vastes appartements avec trois salles de bain et la servante Maria. Par ricochet, F. Cestac envoie Marie-Colombe dans la paysannerie normande, champêtre et rustique, avec Jean-Michel, le frère de Thérèse. De l’idylle au tragique, on passe par la séquence charnelle, à l’issue de laquelle « tomber enceinte » prend toute sa mesure, avant que l’inquisition parentale n’agisse. On comprend pourquoi il sera interdit d’interdire quelques années plus tard.

Le gros nez si caractéristique du style Cestac est trompeur. Il laisse le lecteur dans l’embarras du flou et recouvre bon nombre de détails, de ceux qui construisent ces minutieux décors. À l’origine, on trouve Harry Mickson, sorte de mascotte chez Futuropolis, un Mickey sans les oreilles pour l’influence. Mickson se métamorphose en personnage à part entière (1982), développe une identité graphique, se peaufine. À force de dessin, Cestac gagne la maîtrise : le trait est plus souple, plus léger, avec un pinceau, plus doux, pour atténuer le propos. Le gros nez se rapporte de façon systématique à l’humour, Cestac l’utilise pour dédramatiser les situations pénibles. Filles des Oiseaux porte le regard sur ces adolescentes à qui l’on apprenait « à tenir une maison ».

 

Certificat d’authenticité

Paru en 2007, La véritable histoire de Futuropolis présente la genèse de la librairie et de la maison d’édition éponyme (1972-1994). En décembre 2016, certains acteurs du livre sont réunis autour de la table, pour une rencontre intitulée La légende de Futuropolis, avec Florence Cestac et Étienne Robial entre autres. L’Histoire se raconte. En marge de leurs activités de graphistes, le couple rachète la librairie Futuropolis à Paris 15ème (1972). Robial annonce la couleur : « L’arrière-pensée était d’éditer des livres de bande dessinée ». Comment ? La majeure partie de l’activité repose alors sur la vente d’albums franco-belges et la revente de revues illustrées à des collectionneurs, un travail laborieux mais qui permet des marges satisfaisantes.

Le premier album estampillé Futuropolis sera une réédition de La bête est morte de Calvo: 30X40, « grand, mou, cher et inrangeable » (dixit Cestac). La librairie devient un lieu de rencontre des amateurs de bande dessinée, parmi lesquels Alain Resnais ou Eddy Mitchell. L’activité éditoriale accapare de plus en plus l’espace et nécessite un déménagement: ce sera le clap de fin pour la librairie. Pragmatique, Robial rappelle les grandes lignes : « Sortir des sentiers battus… le contrôle de la distribution signifie l’indépendance, la possibilité de créer des collections originales… Futuropolis bénéficiait du réseau magazine “actuel ”… Le point mort est rapidement atteint avec le N&B ». Précisons que Robial proposait 17 noirs différents selon l’auteur. « En apportant une touche de rouge ici et là ». Dans La véritable histoire…, F. Cestac revient avec précision sur l’ensemble des têches qui incombent alors à l’éditeur indépendant, sans oublier son accouchement. Quelques anecdotes rappellent comment la bande dessinée a trouvé sa place parmi les beaux livres de feu la librairie la Hune, ou lorsque Tardi et Robial pressent Spiegelmann de publier Mauss chez Futuropolis. F. Cestac commence Harry Mickson tandis que Robial réalise la maquette des revues Métal Hurlant et À suivre. Les auteurs suivent : Enki Bilal, Edmond Baudoin ou encore Charlie Schlingo, pour un rythme de croisière de 3 à 4 livres par mois après quelques années.

Futuropolis milite pour la reconnaissance du travail d’auteur – et des droits inhérents, notamment auprès du CNL et avec le soutien de Jack Lang. La décennie 80 marque l’apogée du label, alors que les réalités économiques prennent le dessus, obligeant sa revente à Gallimard. Le Voyage au bout de la nuit de Céline illustré par Tardi sera l’une des dernières réalisations et l’une des meilleures ventes. La réédition d’un succès littéraire annonçant l’arrivée d’une autre maison d’édition au destin similaire, l’Association