Les primaires à droite et peut-être à gauche, puis les élections présidentielle et législatives, s’apprêtent à occuper l’essentiel de l’espace médiatique. Gageons que la question des « personnalités » et les « petites phrases » seront à l’honneur.

C’est une autre conception du débat public que souhaite servir cette nouvelle rubrique : régulièrement, Nonfiction proposera des synthèses pensées comme autant de cartographies des grands enjeux politiques soumis à la délibération des électeurs. Non pas dans le but d’en faire le tour, ou de les épuiser, mais pour donner à nos lecteurs le moyen de les embrasser dans leur complexité ; et de se faire leur opinion, en conscience et en toute liberté.

Ces articles sont dynamiques : si vous percevez des lacunes significatives, n’hésitez pas à nous les signaler, et à enrichir ainsi ces cartes des idées politiques.

 


Mardi 30 août, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Matthias Fekl, a annoncé la fin des négociations françaises sur le projet de traité de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Europe (désignés par les acronymes TAFTA, puis TTIP). Le président François Hollande déclarait peu après que la France ne voulait plus « cultiver l’illusion » que ce traité voie le jour avant la fin du mandat de Barack Obama.

L’Allemagne semble également traversée de doutes : Sigmar Gabriel, vice-chancelier allemand et ministre de l’économie, affirmait récemment que les négociations étaient un échec. Mais la commissaire européenne Cecilia Malmström, a assuré que « les négociations continuent », en réaffirmant l’objectif de les conclure d’ici la fin 2016. Un quinzième round de négociation est donc toujours prévu aux Etats-Unis en octobre prochain.

En juillet, les négociations autour du TAFTA avaient repris pour la 14e fois. Alors que les Etats-Unis estimaient que le traité permettrait à l’UE de surmonter plus facilement les effets économiques du BREXIT, les réticences demeuraient vivaces dans les sociétés civiles de part et d’autre de l’Atlantique. Donald Trump, fortement opposé au projet, en a fait une ligne d’opposition contre Hilary Clinton.

Côté français, trois sujets faisaient principalement l’objet du débat :

(1) L’appellation d’origine contrôlée : les États-Unis ont refusé jusqu’à maintenant de prendre en compte cette exigence à laquelle les Européens – et en particulier les Français – sont très attachés, notamment pour occuper le créneau de l’agriculture à forte valeur ajoutée.

(2) L’ouverture des marchés publics américains : elle reste insuffisante aux yeux des Européens.

(3) L’arbitrage des litiges entre les Etats et les entreprises par un tribunal arbitral privé, qui inquiète une grande partie des dirigeants européens


 

LES ECONOMISTES FRANCAIS PARTAGES

 

1. Les arguments économiques en faveur d’un traité

 

Parmi les économistes français favorables au traité, comme Lionel Fontagné (professeur à l’Ecole d’économie de Paris) ou Patrick Messerloin (professeur émérité d’économie à Sciences-Po), les principaux arguments avancés jusqu'à l'été 2016 concernent la croissance et l’emploi :

- Le Traité de Rome (1957) ayant permis à la France de connaître le plein-emploi pendant une période, on peut estimer que le Tafta permettra à son tour la création de nombreux emplois en France, notamment pour les PME en facilitant l’accès au marché américain.

- Malgré un retour probable de la croissance, celle-ci sera modeste : l’augmentation du PIB européen est estimée à 0,4%. L'impact du traité dépendra étroitement des applications qu'en feront les dirigeants, et ne se pourra montrer véritablement bénéfique que dans la longue durée.

- Au total, les économistes partisans d’un accord reconnaissent que certains secteurs agricoles seront pénalisés, mais qu’une majorité de Français sortira gagnante du traité.

 

En réalité, il est apparu de plus en plus clairement au cours de l’été 2016 que les négociations transatlantiques avaient pour visée principale d’assurer la position de l’Occident face à la Chine :

- Les États-Unis et la France ayant de moins en moins la main sur les normes régissant le commerce mondial face au géant asiatique, un accord de libre échange occidental serait une nécessité pour que la France puisse continuer à faire entendre sa voix sur ses exigences normatives à l’avenir.

 

Finalement, au-delà de ces avantages en matière de croissance, d’emploi, et de positionnement dans la mondialisation, plusieurs économistes minimisent les craintes et les certains sujets de réticence :

- L’opacité qui a entouré le projet à son début a été une maladresse car elle a favorisé les suspicions. Désormais, cependant, la Commission européenne fait preuve de plus de transparence, en donnant un libre accès à de nombreux documents de négociations sur son site internet.

- Certaines inquiétudes en matière de santé publique ont été levées : ainsi dans l’agro-alimentaire, la convergence des normes ne s’appliquera pas aux cultures OGM et au poulet au chlore.

- Les tribunaux d’arbitrage sont déjà en vigueur depuis un certain temps, notamment à l'OMC, pour régler les litiges commerciaux entre Etats et entreprises. Les condamnations des Etats à la suite de plaintes déposées par des entreprises privées sont restées des exceptions.

 

2. Les arguments économiques critiques

 

Si une majorité d'économistes semble reconnaître l’avantage des accords commerciaux sur la prospérité européenne ; mais les doutes subsistent, et surtout les nuances :

- Certaines études sur les effets positifs probables du TAFTA sont financées par la Commission européenne, qui cherche à promouvoir le dossier.

- Au contraire, une étude américaine prévoit une destruction importante des emplois.

 

Un grand nombre d'économistes, en revanchent, se montrent critiques vis-à-vis du cadre de la négociation entre Bruxelles et Washington :

- Pour certains économistes, c’est le principe même d’un accord de libre-échange avec les Etats-Unis qui pose problème, en raison de l'inégalité de poids entre les deux partenaires. Ainsi, dans TAFTA, l’accord du plus fort, Thomas Porcher et Frédéric Farah dénoncent l’impossibilité, pour l’Europe désunie, de négocier un accord équilibré avec le géant Américain

- Sur la méthode, nombre de commentateurs dénoncent le manque persistant de transparence sur le dossier est un déni démocratique : les élus ne sont pas présents aux négociations, qui se déroulent entre bureaucrates de Washington et Bruxelles en présence de puissants lobby.

 

La plupart des observateurs perçoivent également un risque démocratique important dans les modalités d’application envisagées pour le traité :

- Les tribunaux d’arbitrage permettront aux entreprises de réclamer des compensations financières aux Etats, comme l’illustrent déjà de nombreux exemples : c'est donc l'ensemble du corps civique, en tant que contribuables, qui sera soumis à leur juridiction.

- Pour Jacques Mistral (senior fellow à la Brooking Institution), il serait injuste que des Etats qui respectent la loi et le droit soient soumis à des tribunaux arbitraux au nom d’intérêts privés.

- Jacques Mistral souligne également que les tribunaux arbitraux seraient, plus profondément, la pointe avancée de l'effort des élites financières pour se soustraire à l'obligation de négocier des accords, en acquérant un régime d’activité indépendant du pouvoir des Etats.

 

Enfin un certain nombre d'observateurs se montrent sceptiques vis-à-vis de la capacité des institutions à faire respecter les normes édictées en matière de santé public, et souligne le haut risque de transgressions et de coups de force :

- Le coût des OGM ou du poulet au chlore étant 40% inférieur à celui des cultures françaises, il y a fort à parier que l’industrie agro-alimentaire déploiera toutes ses ressources pour imposer ses propres normes une fois implantée dans le marché européen.

- Les mêmes parient que les transgressions se feront le plus souvent à la défaveur des choix européens : eu égard à l’immense pouvoir d’influence économique des Etats-Unis, l’expérience suggère même qu’un éventuel traité ne soit qu’une brèche ouverte, qui conduira à aligner progressivement les normes européennes sur les normes américaines.

 

 

QU'EN PENSENT LES POLITIQUES ?

 

En France, si l’opinion publique était majoritairement hostile au projet à l’été 2016, les positions de certains partis politiques ont été plus ambiguës. De fait, si l’extrême droite comme l’extrême gauche ont toujours été claires sur leur position anti-tafta, le Parti Socialiste et Les Républicains ont affiché des positions variables sur le sujet. Le contexte préélectoral et la perspective des primaires à droite comme à gauche n’a fait que renforcer la cacophonie.

 

1. De l’enthousiasme à la condamnation : le changement de ton du PS

 

Au début du quinquennat de François Hollande en 2012, et jusqu’à sa 4e année, l’exécutif s’est montré nettement favorable à un projet de traité.

- Nicole Bricq, alors secrétaire d’Etat au commerce extérieur, le jugeait très avantageux pour le développement des PME. Sa successeur, Fleur Pellerin, appelait à dédramatiser le débat, pour prendre en compte les effets positifs qu’il aurait sur l’économie française.

- En 2014, lors d’une conférence de presse avec Barack Obama, François Hollande déclarait même qu’il fallait accélérer les négociations pour s’épargner une accumulation de réticences.

 

Pourtant, depuis le 13e cycle de négociation en avril 2016 et l’accumulation des réticences, le gouvernement français change de cap et affiche une prise de position critique  envers le traité commercial.

- Début mai, au lendemain de la publication de documents confidentiels par Greenpeace sur les négociations, François Hollande dénonce le manque de réciprocité dans l’ouverture des marchés publics américains et français, tout en assurant fermement que jamais celle-ci ne se ferait au prix des principes essentiels de l’agriculture et de la culture française.

- Au même moment, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur Matthias Fekl, affirmait déjà que l’arrêt des négociations était probable.

- A la fin du mois de juin, c’était au tour de Manuel Valls de déclarer qu’un accord entre l’UE et le Tafta était impossible, jugeant ce dernier trop en-deçà des exigences sanitaires et environnementales françaises, en plus d’être désavantageux à l’économie européenne.

 

Le revirement du gouvernement semble refléter une évolution, en son sein, du rapport de force entre les différentes tendances internes au Parti Socialiste :

- C’est à partir de la nomination de Matthias Fekl au poste de secrétaire d’Etat au commerce extérieur, en 2014, qu’une partie du gouvernement a trouvé une voix offensive contre l’orientation libérale de la politique économique du gouvernement.

- Pour certains, ce changement de ton était essentiellement électoraliste, à la veille des primaires, de la présidentielle et des législatives. Ainsi l’ancien ministre de l’économie Arnaud Montebourg dénonçait récemment le « double langage » du gouvernement sur le sujet : il y aurait d’un côté le discours anti-Tafta adressé à l’opinion publique, et de l’autre les assentiments donnés dans l’intimité des salles de négociations.

- De fait, dans l’orbite du PS, l’ancien ministre de l’Economie Pierre Moscovici, qui représente la France au sein de la Commission européenne, expliquait encore il y a peu que la France a tout à gagner d’un tel traité, et ne devait pas mettre un terme aux discussions.

- Au centre-gauche, le projet de traité restait soutenu par la tendance libérale qu’incarnait l’ex ministre de l’économie Emmanuel Macron, déjà au large du PS comme du gouvernement. Avec son mouvement « En marche », Emmanuel Macron exhorte vivement les Français à s’affranchir de leurs barrières mentales vis-à-vis de la mondialisation. Avant sa démission, dans une interview récente accordée au journal Le Monde, il adoptait, un ton mesuré mais tout à fait engageant à l’égard du Tafta, qui contrastait fortement avec les dernières déclarations du gouvernement.

 

2. Divergences de façade chez les Républicains ?

 

Au sein du parti LR (ex-UMP), les positions convergent davantage, puisque Les Républicains se sont toujours déclarés favorables au projet - quoique sous certaines conditions, et non sans quelques ambiguïtés parfois.

- L’eurodéputé Franck Proust, qui suit le dossier au Parlement, s’agace des caricatures du poulet au chlore, et réfute les critiques sur l’opacité du dossier, qui font perdre de vue le fait que le TAFTA permettrait à l’Europe de contrecarrer la puissance asiatique.

- Au moment des déclarations de Hollande début mai, Jean Bizet, membre LR élu Président de la Commission des affaires européenne, proclamait son soutien énergique au TAFTA, victime selon lui de diabolisation. D’après lui, si nous refusons l’harmonisation de références mondiales, nous serons contraints à l’avenir d’accepter celles que nous imposerons des pays comme l’Inde ou la Chine. Et en condamnant le Taftat, c’est la course à la compétitivité française qui est entravée.

- Surtout, le programme du parti pour 2017, auquel souscrivent tous les challengers de la primaire, propose de remplacer le « principe de précaution », par un « principe responsabilité ». C’est un grand pas pour faciliter un accord, puisque les Etats-Unis exigent la levée du « principe de précaution », tandis que son maintien est un motif majeur d’opposition au traité de la part de ceux qui y voient le précieux garde-fou contre les risques sanitaires et environnementaux.

 

Cependant, l’approche de la perspective de la primaire a correspondu à une multiplication des déclarations par lesquelles les différents candidats ont cherché à se distinguer en se montrant plus solidaire de l’opinion majoritaire au sein de l’électorat. Les critiques portent moins sur le fond du dossier que sur la méthode de négociation et de décision :

- En février dernier, lors de son discours devant le Conseil national du parti, Nicolas Sarkozy brouillait les pistes en se déclarant pour la première fois défavorable au Tafta, en remettant en cause la légitimité de la Commission européenne à mener les négociations.

- Bruno Le Maire, lors de sa visite au Salon de l’Agriculture en mars dernier dénonçait l’opacité antidémocratique du projet.

- Plus récemment, François Fillon appelait la France a cesser toute négociation avec les Etats-Unis sur le dossier.

- Parmi la branche souverainiste, Henri Gaino déclarait il y a tout juste un an que le gouvernement devrait soumettre le projet à un référundum.

 

Hors du parti Les Républicains, le parti souverainiste Debout la France mené par Nicolas Dupont-Aignan proposait également de soumettre la ratification du traité a un référendum, avant d’ajouter sa voix récemment aux accusations d’hypocrisie envers le gouvernement.

A droite, la question est donc de savoir si c’est à la Commission européenne ou aux Etats d’entériner un traité contraignant, dont les termes sont globalement acceptés.

 

3. Prudence de l’UDI et demi-silence du Modem

 

Le 27 mai dernier, lors du Conseil régional de la Nouvelle Aquitaine, la majorité PS-EELV-PRG a soumis au vote de l'assemblée délibérante une motion demandant symboliquement une vigilance absolue autour des négociations relatives au TAFTA.

- Le groupe d'opposition des élus Union des démocrates et indépendants (UDI) s'est prononcé en faveur de cette motion à l'unanimité .

- En revanche, le très europhile Modem s’est à peine prononcé sur la question. Récemment, François Bayrou déplorait le manque de transparence autour du dossier, sans en dire davantage. Sur le site du Modem, le Tafta est évoqué en quelques lignes par Marc Fresnau, le secrétaire général, qui insiste à son tour sur le manque de transparence, sans développer le positionnement du parti.

 

4. La cohérence anti-Tafta des extrêmes

 

Ces discordances ne semblent pas traverser les autres partis politique, qui condamnent le Tafta dans son principe-même. Lextrême droite et l’extrême gauche, dont une partie s’est regroupée dans le Collectif STOP TAFTA, sont opposées au projet pour des raisons comparables : 

- Le déni démocratique que constitue la négociation au niveau de la Commission européenne,

- La reconnaissance de tribunaux privés d’exception susceptibles d’être saisis par les multinationales, qui contredisent la souveraineté des Etats,

- L’alignement immédiat et à venir des normes européennes sur les normes américaines,

- La concurrence pénalisante pour les travailleurs, et en particulier les agriculteurs français,

- Les dangers sanitaires et environnementaux,

- La protection des données numériques des citoyens français, auxquelles les négociation envisagent de donner l’accès aux annonceurs et services de renseignement américains.