Dans L’Audace d’espérer, Barack Obama, candidat démocrate pour l’élection présidentielle de 2008, entend refonder la vie politique américaine. Un candidat aussi séduisant que son livre est décevant.

(Cet article a été publié pour la première fois sur nonfiction.fr le 4 octobre 2007. Il a été mis à jour le 4 juillet 2008).

 

« Une nouvelle conception de la politique américaine » : avec un tel sous-titre, le livre de Barack Obama a de l’ambition. Et pour le lecteur français, pour qui Obama reste une sorte de mystère, une telle publication semblait être une aubaine. Il devait permettre de mieux connaître cet étrange « Midwesterner », un démocrate noir d’héritages mixtes – une enfance en Indonésie, une partie de sa famille au Kenya –, ambitieux et énergique, qui prétend refonder la gauche américaine. A travers cette refondation politique, on attendait d’Obama qu’il dise ses audacieux « désirs d’avenir » pour son parti et pour lui-même.

Outsider, jeune, Noir, et apparu récemment, Obama doit à John Kerry, candidat malheureux contre George W. Bush, d’avoir été promu « rising star » du parti démocrate lors des primaires de 2004. Kerry lui a confié le « keynote speech » (voir ici), le discours vedette lors de la Convention d’investiture de Boston   . En une soirée, Obama est devenu l’étoile montante de la gauche américaine. Et quatre ans plus tard, il est candidat aux élections présidentielles.

En neuf chapitres longs mais sans densité, Barack Obama raconte son histoire, donne sa vision de la vie politique américaine, décrit ses valeurs et sa tentative de recréer un nouveau consensus politique, développe son idée de recréer une « conversation démocratique » et, après avoir évoqué sa foi (le titre du livre vient du sermon d’un pasteur qui l’a marqué), présente ses positions sur les races ou les relations internationales.

Une politique de l’empathie

Avant cela, et constamment dans le livre, Obama retrace aussi sa vie personnelle, emblématique selon lui d’une histoire plus vaste – celle de l’Amérique. Il connut une carrière politique brillante et précoce après avoir été un « community organizer », l’équivalent d’un animateur des quartiers en français, job qu’il cite dans le livre à plusieurs reprises, comme si cela lui permettait de prétendre parler au nom du peuple et faire oublier, par exemple, qu’il a été scolarisé dans de prestigieuses écoles d’Honolulu à Hawaï. Cette expérience de terrain lui donne, explique-t-il, un pragmatisme qui le fait toujours privilégier les solutions aux problèmes plutôt que les discours, les actes aux mots. Il aime les gens simples et a pris modèle sur « l’ouverture d’esprit de mon grand-père, le côté terre-à-terre et pratique de ma grand-mère, la générosité de ma mère ». Il évoque sans cesse sa femme, Michelle, et ses filles, Malia et Sasha, et on finit par trouver de telles mentions attachantes, tellement l’auteur, lorsqu’il se veut plus théoricien, est décevant (le chapitre premier sur les Républicains et les Démocrates par exemple). On se demande pourquoi, dans ces conditions, l’éditeur français, n'a, pas plus que l’éditeur américain, sacrifié à l’exercice du cahier photo central où on aurait pu suivre l’itinéraire du jeune Barack devenu Sénateur de l’Illinois.

Au fil des pages se dessine pourtant une nouvelle idéologie de la gauche américaine, ce qu’on pourrait nommer une politique de l’ « empathie »   . Face au « conservatisme compassionnel » prôné par George W. Bush, Barack Obama invente la « politique de l’empathie ». C’est un mixte très étrange qui forme une sorte de définition post-clintonienne de la politique démocrate : l’empathie, à laquelle il ajoute les valeurs morales et l’énergie. C’est ce volontarisme clintonien, cette ténacité, cette spontanéité, couplés à l’empathie, qui caractérise son identité démocrate. C’est peu, c’est beaucoup.  

Ayant de la suite dans les idées, mais répétant toujours un peu les mêmes formules, Barack Obama s’attache avec constance à expliquer pourquoi il est démocrate et ce que cela signifie. Au cœur de cette définition, il y a une attitude face à la souffrance, des valeurs morales et une croyance à un rôle minimal du gouvernement. Les gens comprennent, écrit-il, « que leur réussite dans la vie dépend en premier lieu de leurs efforts, et s’ils n’attendent pas du gouvernement qu’il résolve leurs problèmes et s’ils n’aiment pas voir gaspiller l’argent des impôts, ils n’en pensent pas moins que le gouvernement se doit d’aider » (p. 15). Bon élève, Obama cite les références incontournables (Kennedy, Martin Luther King et plus habilement Louis Brandeis, premier membre juif de la Cour suprême), mais il est toujours sage – il prend peu de risques. Ses positions sur la question noire, la moralisation du financement de la vie politique, son opposition à la guerre en Irak, ses programmes pour lutter contre le réchauffement climatique, sa défense de la théorie de l’évolution, ses prises de position (somme toutes très modérées) sur la peine de mort ou la couverture maladie, le situent néanmoins plutôt à gauche du parti démocrate (On sait que depuis sa désignation comme candidat démocrate, Obama a montré sa grande flexibilité idéologique, sur la peine de mort notamment où il a durci ses positions vers la droite ; en revanche, son discours sur la question noire le 18 mars 2008 fut essentiel : il mérite d'être lu en entier). A la gauche d’Hillary Clinton, en tout cas. Mais Hillary, justement, a prétendu, jusqu'à la défaite, le contraire. Et vice-versa.

Pour Obama, le compromis n’est pas la compromission

Social et « community-based », le programme d’Obama se caractérise toutefois par des réserves assumées sur les évolutions identitaires de la société américaine : « Je rejette une politique reposant uniquement sur l’identité raciale, l’identité sexuelle et la victimisation en général » (p. 19). D’ou la critique qu’on lui adresse souvent d’être « poll-sensitive » : il dit ce que les sondages disent.

Obama se veut « mainstream », en cela qu’il s’adresse à tous, et il reprend, comme tous les démocrates depuis Jimmy Carter, la défense des « valeurs » de l’Amérique. Ainsi, du mariage gay, par exemple, où il tente de trouver un juste milieu mais déçoit nécessairement tout le monde : il refuse habilement ce type de mariage car il ne veut pas « négliger des mesures susceptibles d’être atteintes pour lutter plus efficacement contre les discriminations dont sont victimes les gays et les lesbiennes » (p. 228). A-t-il le choix de toute manière ? Peut-il dire autre chose ? Pour lui, le compromis n’est pas la compromission. La communauté gay a, compte tenu de ses positions, largement soutenue Hillary Clinton dans les primaires.

Sans cesse, Obama cherche à déminer, à pacifier le débat : celui-ci, et la démocratie, fonctionneraient mieux, écrit-il, « si les personnes de gauche   reconnaissaient qu’un chasseur peut accorder autant d’importance à son fusil qu’ils en accordent aux livres de leurs bibliothèques, et si les conservateurs reconnaissaient que la plupart des femmes sont aussi attachées à leur droit d’avoir ou non un enfant que les chrétiens évangéliques sont attachés à leur droit de pratiquer leur religion » (p. 65). Avec ce genre de formule, dont le livre déborde, les clivages sont gommés dans la barbapapa de la communication politique.

Le chapitre 4 du livre, consacré justement à la politique, est de ce fait le plus intéressant du livre. Obama y décrit ses techniques pour conquérir l’opinion. Il y parle des médias, de la nécessité d’avoir son « message » diffusé et connu de tous. Il attaque Fox News, la chaîne d’information conservatrice de Rubert Murdoch (qui a depuis décidé de le soutenir), les campagnes de télévision négatives et évoque le rôle des consultants médiatiques et autres « spin doctors ». Il annonce, ce faisant, quelques propositions mais elles restent tellement sommaires ou  décalées par rapport à l’ampleur du malaise démocratique américain (« nonpartisan districting », « same-day registration », « week-end elections »)   que le lecteur reste sur sa faim. Sans cynisme, mais avec lucidité, il explique que gagner une élection politique se limite à savoir faire connaître son nom et à avoir quelques idées. Du coup, tout étant matière de marketing en « cibles » politiques, Obama peut écrire cette formule qui serait magnifique si elle n’était désespérante : « les électeurs ne choisissent plus leurs représentants, ce sont les représentants qui choisissent leurs électeurs » (p. 111). Mais il faut passer beaucoup de temps à lire de longues pages sans fond pour avoir le plaisir de lire une phrase aussi percutante. Sincère, Barack Obama n’a que rarement le sens de la formule : il n’est ni Roosevelt, ni Kennedy, ni même Carter. Quant à être l’héritier de Clinton… 

Obama, héritier de Clinton

La personnalité fascinante d’Obama, sa proximité généreuse avec les Américains de base, son refus du cynisme, son honnêteté affichée, son authenticité réelle ou supposée, la bouffée d’air frais qu’il a donné au parti démocrate, tout cela a contribué à la défaite d'Hillary Clinton dans les primaires et, paradoxalement, à faire de lui le véritable héritier de Bill Clinton. Il incarnait davantage la filiation de l’homme de l’Arkansas que sa femme, grande bourgeoise, étudiante à Yale, une Rodham, avec tout ce que son nom transportait d’élitisme et d’attitude « côte est ». D’ailleurs, dans le Midwest, dans le Sud, dans les États de la « Bible Belt »   , la haine contre le Clinton de l’affaire Monica Lewinsky se doublait d’une haine encore plus grande pour sa femme. De sorte que ce qui faisait la force d’Hillary Clinton dans certains Etats (la maturité, l’expérience, la maîtrise des problèmes internationaux et de l’assurance maladie, le rassemblement de tous les démocrates, le soutien de son époux), a fini par faire sa faiblesse au primaires.

Sorti en 2006, L’Audace d’espérer a connu un succès impressionnant aux États-Unis (on parle de 1,3 millions d’exemplaires vendus et ce n'est qu'un début) et ce livre a accompagné le succès de sa candidature. Le livre n’a ni l’intérêt des mémoires politiques d’un Arthur Schlesinger ou d’un Pierre Salinger, ni n’atteint la simplicité et la qualité des mémoires de Bill Clinton, en tous points plus nourries intellectuellement, et plus agréables à lire, que les siennes.

Le lecteur français, naturellement séduit par l’homme et par son parcours, aurait aimé mieux le connaître et mieux comprendre ses idées grâce à L’Audace d’espérer. Malheureusement, le livre qu’il a écrit lui apparaîtra tour à tour trop général, trop personnel, toujours très politicien ou à tout le moins trop américano-centré. C’est dommage car Barack Obama mérite mieux que son livre. Mais on peut échouer dans l’ordre de la littérature et réussir dans l’ordre des suffrages.



* Edition originale : The Audacity of Hope, Crown, Publishers, 375 p., 27,95 dollars en hardcover ; 14,95 dollars en paperback (ce compte rendu de lecture a été rédigé à partir de la version américaine du livre, mais les références des pages renvoient à l’édition française).
 

Pour aller plus loin :

- Lire les critiques du discours de Barack Obama, De la race en Amérique, par S. Balaji Mani et Henri Verdier.

- La critique du livre de Barack Obama, L'audace d'espérer, par Frédéric Martel.

- La critique du livre de François Durpaire et Oliver Richomme, L'Amérique de Barack Obama, par Alexandre Rios-Bordes.

- La critique du livre d'Audrey Claire, Obama : le roman de la nouvelle Amérique, par Benoît Thirion.

- Pour comprendre les enjeux de la campagne américaine sur le web, il est possible de consulter La Révolution ne sera pas télévisée, l’intéressant livre de Joe Trippi, qui avait dirigé la campagne d’Howard Dean. Compte-rendu ici.
 

Vidéos :


-  « I got a crush on Obama » est la vidéo dont on a beaucoup parlé aux États-Unis au début de l'automne : elle a été téléchargée près de 4 millions de fois : voir la vidéo ici.

- Barack Obama se prononce contre le déclenchement d'une guerre contre l'Irak dès 2002. C'est l'un de ses points forts dans sa campagne pour la Maison Blanche: voir ici.

- La vidéo "my plans for 2008" (mon projet pour 2008) de Barack Obama : voir ici.