Dans une récente étude publiée par la Fondation pour l’innovation politique et disponible en ligne, Franck Debié, Directeur général, et Jérôme Monod, Président d’Honneur de la Fondation, font le récit d’un voyage effectué en janvier 2008, à la rencontre de ce pays à la fois ignoré et redouté, ce "condensé de contradictions mal résolues" qu’est l’Iran. Les auteurs justifient cette entreprise par leur intention de dépasser les préjugés, car, écrivent-ils, "aucune réticence idéologique ou politique, aucune crainte de l’imprévisible ne devaient nous arrêter". Franck Debié et Jérôme Monod ont donc rencontré des dirigeants religieux ou politiques, des médecins, des entrepreneurs, des intellectuels, pour tenter de donner une cohérence au tableau souvent déroutant présenté par le pays.

Voici quelques-unes de leurs impressions les plus notables. Les auteurs relèvent que, contrairement aux attentes, Téhéran, en dépit de sa croissance anarchique, est une ville relativement propre, et que les services publics y fonctionnent. Les grands hôpitaux sont équipés d’un matériel moderne et certains d’entre eux participent à des programmes de recherche sur le cancer en collaboration avec des équipes européennes. Les auteurs remarquent également avec surprise l’absence de véritable hostilité à l’égard d’Israël, en dépit du discours officiel. Le tableau économique est tout aussi nuancé : malgré les difficultés liées aux sanctions économiques internationales et à la corruption interne, l’Iran est ouvert aux entrepreneurs, en raison de besoins d’investissement très importants. Pour autant, les aides à l’industrie demeurent très limitées pour des raisons historiques, l’économie iranienne étant orientée vers le commerce et la spéculation. Les auteurs relèvent également la soif de nouveauté et l’irrésistible attrait de l’Amérique, que les positions contraires du régime contribuent peut-être à renforcer. Profondément nationalistes, les Iraniens ne demandent qu’à rejoindre la marche du monde tout en trouvant leur propre voie, entre islam et démocratie.

On ne peut que saluer la publication d’un texte qui, pour modestes que soient ses ambitions – très court, il prend la forme d’un journal de voyage – s’attache à mettre en évidence les complexités de l’Iran moderne. A cet égard, la description d’un hôpital ou de l’organisation du bazar s’avèrent plus instructives que la traditionnelle dichotomie voiles noirs/jupes courtes, devenu un passage obligé des reportages consacrés à l’Iran. En revanche, les aperçus politiques se révèlent quelque peu décevants. L’entretien avec le grand ayatollah Makârem-Chirâzi ne livre que peu d’enseignements, au-delà des généralités sur les malentendus entre l’Iran et l’Occident. A cet égard, les notes sur la puissance économique et politique des ayatollahs présentent davantage d’intérêt. De même, les auteurs s’avouent "impressionnés" par leur rencontre avec l’ancien président réformateur, Mohammad Khâtami, qui prône un dialogue serein avec l’Europe, fondé sur le partage de valeurs communes dans le respect des différences. Or c’est précisément cette tendance à discourir que ceux qui l’ont élu en 1997 lui ont amèrement reprochée par la suite. Après une période d’enthousiasme, Khâtami avait en effet fait étalage de son impuissance devant les manœuvres des conservateurs, mais aussi de son refus de remettre profondément en cause le système politique. Dans les deux cas, on éprouve l’impression que les auteurs se sont laissés séduire par la traditionnelle affabilité iranienne, qui se double en général d’une certaine réticence à livrer le fond de sa pensée. En dépit de ces réserves, on peut espérer que ce court récit de voyage contribuera à lever les préjugés les plus répandus sur ce pays.


--
Crédit photo: Flickr.com/ seccad