Une pièce enfermée dans ses certitudes qui échoue à convaincre et à toucher.

 

En s'emparant du roman de Sorj Chalandon, plaidoyer en faveur du dialogue interconfessionnel au Proche-Orient, la Compagnie du Théâtre des Asphodèles débouche sur une pièce enfermée dans ses certitudes.

 

Le OFF d'Avignon réserve chaque année son lot de belles surprises et de grandes déceptions. Disons-le sans tourner autour du pot, Le quatrième mur, mis en scène par la Compagnie du Théâtre des Asphodèles, fait partie des secondes. Dans cette création toute récente, la compagnie a choisi d'adapter le roman du même nom de Sorj Chalandon, prix Goncourt des lycées en 2013, qui racontait le projet fou d'un metteur en scène français, George, souhaitant monter l'Antigone d'Anouilh dans la Beyrouth de 1982 en donnant un rôle à chaque communauté confessionnelle : Antigone serait jouée par une palestinienne sunnite, Créon par un chrétien maronite, Hémon par un druze, et ainsi de suite.

 

Adapter ce texte est un choix risqué, ne serait-ce que par la taille du roman : transposer plus de trois cents pages de texte en un spectacle d'une heure trente impose forcément de faire des coupes, des choix, afin de fluidifier l'intrigue. Ce sont ces choix que Luca Franceschi, le metteur en scène, n'a pas su ou pas voulu faire : il y a tout, dans la pièce, et par conséquent il y a trop. Le prologue est par exemple beaucoup trop long : il faut près de la moitié de la pièce pour enfin envoyer George au Liban.

 

Paradoxalement, alors que tout le début de la pièce est trop long, tout le reste est trop rapide. Les comédiens ont à peine le temps de s'installer dans un personnage qu'ils l'abandonnent pour un autre : des personnages comme Nakad, le jeune druze qui tombe amoureux de George, sont absolument ridicules tant leurs répliques sont expédiées en une poignée de secondes. Les comédiens parlent à toute vitesse, mâchant leurs répliques, expédiant leurs scènes pour mieux sauter, sans transition, à la suivante. Ca crie, ça récite, ça annone péniblement un texte qui sonne toujours faux.

 

Aucune tension, du reste : on ne se croit pas dans une ville déchirée par la guerre, on ne ressent ni la violence des mots ni la souffrance des morts. Les bombardements, les snipers, les ruines, la folie d'un pays qui se déchire lui-même : rien n'est là. La scène finale est à cet égard un chef d'œuvre d'anti-climax, tant la rapidité des mots vient contrecarrer l'éventuelle émotion du spectateur. La scénographie, chargée et confuse, n'arrange pas les choses : l'éclairage est sans nuances et les transitions font intervenir des passages de danse hip-hop qui n'ont aucun sens et aucun intérêt.

 

Dans le texte de présentation de la pièce, le directeur artistique Thierry Auzer revendique l'inspiration de la « Commedia dell'arte dans sa pure tradition ». Transposée sur scène, cette inspiration semble pourtant oublier que le cœur de ce style théâtral est l'humour, l'irrévérence, l'intelligence du texte, mais aussi, tout simplement, le plaisir des spectateurs. Rien de tel ici : seulement l'arrogance d'une pièce qui croit pouvoir « aller vers un humanisme renouvelé  », « défendre un message d'utopie et de fraternité », « révéler ce qu'il y a de bon et de beau dans les rapports humains »...

 

Le « quatrième mur » désigne ce mur virtuel qui sépare la scène des spectateurs. Il ne suffit pas, n'en déplaise à la compagnie des Asphodèles, d'envoyer quelques comédiens au milieu des gradins pour briser ce mur. Pas plus qu'il ne suffit de mettre en scène la guerre du Liban, le théâtre antique et la violence religieuse pour se hisser à la hauteur de Wajdi Mouawad : il y a plus de force, d'émotion, bref de théâtre dans une scène d'Incendies que dans l'ensemble de cette pièce

 

Le quatrième mur

D'après le roman de Sorj Chalandon

Mise en scène par Luca Franceschi

A la Chapelle du Verbe Incarné

Du 7 au 30 juillet, à 14h35

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