Notre troisième chronique Regards sur la Pakistan s'intéresse à la délicate situation de la communauté chrétienne dans une république islamique. Le 28 mars 2016, les quotidiens pakistanais - désormais coutumiers d’un terrorisme se réclamant de l’islam - ont accordé leur première page à l'attentat de Lahore. Pendant ce temps, la minorité chrétienne s’inquiétait une nouvelle fois de la pauvre citoyenneté dont elle jouit au sein de la République Islamique du Pakistan.

 

En 2016, la minorité chrétienne du Pakistan continue de déplorer la partition du sous-continent indien entrée en vigueur à la mi-août 1947, et qui se contenta en définitive de chercher à résoudre la problématique des deux communautés en quête de prééminence politique : la communauté hindoue et la communauté musulmane. Il est vrai que le Raj (l’Empire) britannique s’attacha à parer à un antagonisme qui lui paraissait d’autant moins soluble que Londres visait, tout en répondant aux aspirations indépendantistes, à quitter dans les meilleurs délais un sous-continent miné par un communalisme sanglant.  


Lahore, épargnée par une islamisation tout azimut


La capitale du Pendjab pakistanais, contrairement aux autres grandes villes de la fédération pakistanaise, a résisté tant bien que mal au resserrement des mœurs né de l’islamisation du nouveau pays engagée par le Président-Général Muhammad Zia ul-Haq (5 juillet 1977- 17 août 1988). La mobilité dont la gent féminine dispose est une preuve remarquable d’une bonne santé - certes, relative - de la société. Le regard de l’observateur étranger à la République Islamique s’arrêtera peut-être sur le voile dont un nombre non négligeable de femmes usent pour recouvrir leurs cheveux. Cependant, ce respect d’une coutume essentiellement sociale ne doit pas oblitérer deux aspects de la vie quotidienne des Lahoris : la visibilité des femmes dans les rues, troublante si l’on songe aux marchés   de grandes villes comme Peshawar (capitale de l’État du Khyber-Pakhtunkhwa) ou de Quetta (capitale du Balouchistan), où de plus en plus fréquemment les femmes sont les cibles d’attaques à l’acide.

Une dimension qu’il y a lieu de signaler en dépit de son caractère anecdotique est la profusion des tissus aux couleurs bigarrées dont les commerces pakistanais débordent, alors que nombre d’habitantes de Lahore les fréquentent librement   .

Troisième trait qui caractérise la vie quotidienne des Lahoris : les parcs où les familles continuent de se rendre, notamment pour y pique-niquer. Celles-ci tendent le plus souvent à différer ce qui constitue une sortie à la fin de l’après-midi, alors que les températures – à l’exception d’un hiver souvent rigoureux mais d’une durée limitée – sont élevées. Quant à la crainte d’attentats terroristes qui rythment leur vie quotidienne, les Pakistanais – faisant montre d’un courage remarquable – ont appris, faute de choix, à vivre avec cette épée de Damoclès. Ils vaquent à leurs occupations avec l’espoir que le pouvoir politico-militaire – dont ils n’ignorent pas le double jeu envers les « bons » et les « mauvais » talibans – en viendra à rétablir la paix civile. À considérer l’ensemble de la scène pakistanaise, le Pendjab a été, il est vrai, peu touché par le phénomène terroriste.


L’attentat du 27 mars 2016


Les nombreuses tragédies qui ont déjà eu lieu au Pakistan, prouvent le machiavélisme d’un terrorisme qui ne respecte pas même l’enfance. L’attaque qui frappa l’Army Public School   de Peshawar, le 16 décembre 2014, a ainsi durablement marqué les esprits. Le Mouvement des Talibans du Pakistan (Tehrik-i-Taliban Pakistan, TTP) visa tout particulièrement les fils des membres des forces armées, alors que la société tend à célébrer la naissance de tout enfant de sexe masculin, déplorant la naissance de filles. On dénombra 141 morts, dont 134 enfants. Les talibans pakistanais jugeaient qu’il s’agissait là d’une réplique légitime à l’opération Zarb-e-Azb   . Cette dernière avait été engagée le 15 juin 2014 dans la zone tribale du Waziristan du Nord, suite à l’attaque dont l’aéroport international Jinnah de Karachi avait été l’objet quelques jours plus tôt. Le 8 juin 2014 en effet, dix kamikazes munis de ceintures d’explosifs et armés d’armes automatiques, d'un lance rocket et de grenades, avaient attaqué l’aéroport de Karachi. Trente-six personnes (dont les 10 terroristes) avaient trouvé la mort. Le Mouvement des Talibans du Pakistan revendiqua l’attentat. En fait, les attaquants, de nationalité ouzbèque, appartenaient au Mouvement Islamique d’Ouzbékistan, groupe affilié à Al-Qaeda, qui opérait au Pakistan en étroite collaboration avec le TTP. Ce dernier en vint d’ailleurs à indiquer que l’attentat du 8 juin avait été imaginé conjointement.

En tout état de cause, le dimanche 27 mars 2016 fut pour le pays un nouveau jour de deuil, tandis que la petite communauté chrétienne célébrait Pâques. Un parc (le Gulshan e-Iqbal Park) situé dans la vieille ville   constitua l’objectif que le groupe taliban Jamaat ul-Ahrar, l'« Assemblée des hommes libres »   , assigna à un kamikaze. Celui-ci, muni d’une ceinture contenant une vingtaine de kilogrammes d’explosifs, se tint à l’une des entrées principales située non loin de l’aire de jeux et d’attractions destinées aux enfants. A la joie succéda le chaos, le sang des corps démembrés par la conflagration…

Ehsanullah Ehsan, porte-parole du Jamaat ul-Ahrar, déclara que l’attentat avait pour cible les chrétiens. Il ajouta que le groupe qu’il représentait entendait rappeler au gouvernement que l’imposition de la Charia demeurait à l’ordre du jour. De même soulignait-il que le groupe terroriste était désormais « entré à Lahore ». Un tel message s’adressait tout particulièrement au Premier ministre Nawaz Sharif et à son frère, le Chief Minister (Chef de l’État) du Pendjab Shahbaz Sharif, tous deux originaires de Lahore, mais également aux instances militaires qui s’estimaient les garantes de la sécurité nationale et de la paix sociale. La Jamaat ul-Ahrar, qui s’était récemment illustré par plusieurs actions d’éclat dont la population civile avait été la victime malheureuse, cherchait à montrer que la capitale de la province la plus peuplée et la plus prospère de la fédération n’était pas à l’abri. Il indiquait au pouvoir politico-militaire que l’opération engagée, au mois de juin 2014, dans le Nord-Ouest du pays, le Waziristan du Nord, n’avait pas affaibli la combativité de ce que le sous-continent nomme tour à tour militants et terroristes. Et il affirmait sa volonté de prendre la tête d’un mouvement qui visait sinon à éradiquer du moins à déstabiliser les institutions nationales.


Une communauté chrétienne confrontée à des attentats récurrents


Le 27 mars 2016, le Gulshan e-Iqbal Park accueillait à l’heure du drame un public particulièrement nombreux. Suite à la déflagration, on compta 75 morts dont 29 enfants. Alors que la communauté chrétienne pakistanaise estime que 70% des personnes qui fréquentait le parc – à 18h30 – étaient de confession chrétienne, les quotidiens nationaux se sont attachés à souligner que des musulmans s’y trouvaient aussi. Parmi les 75 victimes qui ont succombé, 14 sont de confession chrétienne, et 61 musulmanes. Reste qu’un nombre non négligeable de chrétiens figurent parmi les 370 blessés.

La communauté chrétienne (autant en Inde qu’au Pakistan) déplore le piètre statut social dont elle jouit dans un sous-continent qui demeure marqué par la dialectique du pur et de l’impur. Alors que les Indes étaient sous administration britannique, des hindous choisirent la conversion au christianisme afin d’échapper à la condition liée à l’appartenance aux castes les plus basses. Une telle démarche les autorisa parfois à accéder à l’instruction et à une meilleure position sociale ; la majorité est encore confinée aux métiers peu valorisants.

A ce facteur religieux s’ajoute une dimension démographique structurelle, puisqu'au sein d’une société pakistanaise sous le joug de l’islamisation, les minorités confessionnelles qui représentaient 15% de la population globale lors de la naissance du pays ont décliné au point de ne plus représenter, aujourd'hui, que 4% de la population. Les chrétiens, quant à eux, représentent 1,6% d’une population de près de 200 millions de personnes. En outre, la stratégie adoptée par l’Occident au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 a tendu à nourrir un antagonisme inter-religieux, la communauté chrétienne étant parfois assimilée aux puissances mondiales jugées antimusulmanes, et accusée, en tant que telle, de trahir la cause nationale. Les églises chrétiennes et les fidèles qui s’y réunissent pour célébrer la messe ont ainsi été les cibles d’attentats. En témoigne le drame du 16 mars 2015 : à l'heure de la messe, le Jamaat ul-Ahrar imagina deux attaques dans deux églises situées dans le quartier de Youhanabad de Lahore.

Les chrétiens seraient-ils les bouc-émissaires d’un pays cherchant aujourd’hui à circonscrire un islamisme qui mine la fabrique sociale ? Une fondation chrétienne, Barnabusfund, dont la devise était « espoir et aide à l’église persécutée », rappelle que l’attentat du 27 mars est intervenu peu après l’exécution de Mumtaz Qadri, lequel était un défenseur de la pérennité de loi sur le blasphème. Cette législation, ajoute Barnabasfund, est une composante essentielle de la Charia, laquelle prescrit la peine de mort à toute personne qui oserait remettre en question la législation du prophète Mohammed.

L’image du Pakistan est donc une nouvelle fois entachée, alors même que les autorités avaient tenté de faire de la pendaison de Qadri un symbole. Le pays n'échappe pas aux interrogations des puissances mondiales sur le sort des minorités (notamment chrétiennes) dans les pays à majorité musulmane. Le Premier ministre Nawaz Sharif s’apprêtait, du reste, à effectuer une visite officielle aux États-Unis, à laquelle il a dû surseoir. Le gouvernement du Pendjab, quant à lui, s’est empressé d’annoncer trois jours de deuil, s’engageant à ce que les commanditaires de l’attentat du 27 mars soient punis

 

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