L'attentat commis dans un parc bondé de Lahore en mars 2016 a rappelé combien le Pakistan peine encore à assurer la paix sociale. Dans cette chronique consacrée à la militance et au terrorisme au Pakistan, Nathalène Reynolds analyse, toutes les trois semaines, un fait d’actualité de ce Pakistan brutalement rappelé au devant de la scène internationale lors de ce triste 27 mars.

Aujourd’hui elle revient sur deux mesures importantes que le gouvernement de la région du Pendjab adopta à la veille de l’exécution de l'islamiste Mumtaz Qadri : l'interdiction du prosélytisme dans toutes les écoles et la mise en place d'un numéro de téléphone dédié aux femmes victimes de violence.  Ce sont peut-être ces dispositions qui ont poussé les groupes politico-religieux montrer leur mécontentement face à une société qui tendait désormais à contenir leur influence.

 

L’exécution de Mumtaz Qadri est intervenue dans un contexte particulier. En effet, l’État du Pendjab (dont le Premier ministre, Nawaz Sharif, était originaire) avait été la scène, peu de temps avant, de l’adoption de deux mesures qui avaient provoqué le mécontentement de la mouvance politico-religieuse.

 

Un rappel à l’ordre des mouvances politico-religieuses ?

 

Au mois de janvier 2016, le gouvernement pendjabi avait interdit à la Tablighi Jamaat (Association pour la prédication)   tout prosélytisme dans les « institutions à vocation éducative » (c’est-à-dire, en anglais, les education institutions, expression qui, au Pakistan, inclut les madrasas). Certes, la République Islamique, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, s’était déjà engagée à définir un programme scolaire obligatoire. Elle s’inquiétait ainsi de l’enseignement que les madrasas, dont elle ignorait jusqu’au nombre (du moins, le laissait-elle entendre), dispensaient sur son territoire.

Les observateurs ont apporté diverses explications à l’attentisme du pouvoir politico-militaire qui gouverne le pays face à cette question. Certes, il était bien difficile de réguler le fonctionnement et l’enseignement que proposent les madrasas, car ces écoles religieuses aux différentes obédiences forment un réseau anarchique   . De plus, l’on craignait une réplique de la part des groupes politico-religieux : le pays continuait d’être la scène d’attentats terroristes dramatiques. En outre, les instances militaires ne souhaitaient guère éradiquer définitivement des madrasas qui contribuaient au maintien d’un vivier utile, celui qui autorisait le pays à avoir recours, le cas échéant, à des militants   familiers de l’usage des armes. L’Inter-Services Intelligence (ISI), le service de renseignements pakistanais par excellence, demeurait en effet sensible à une distinction qui avait suivi l’apparition du phénomène terroriste sur le territoire national : celle entre bons et mauvais talibans. Les premiers contribuaient à la prééminence stratégique à laquelle le Pakistan, promoteur de la « profondeur stratégique ,était attaché. L’ISI entendait par contre combattre les seconds, qui menaçaient les institutions nationales, n’hésitant pas à prendre la population civile en otage.

 

Au début de février de cette même année 2016, le Pendjab avait consenti à une autre mesure. Une loi avait été promulguée, qui garantissait la mise en place d’une « ligne rouge » à la disposition des femmes qui souhaitaient se plaindre des exactions dont elles étaient victimes dans les sphères familiale et publique   .Il s’agissait là d’une remise en cause courageuse, à l’échelle du Pakistan de l’ordre patriarcal puissamment soutenu par les théologiens musulmans (les oulémas) pakistanais les plus rigoristes.

 

 

Le théologien Javed Ahmed Ghamidi, dans The Social Shari‘ah of Islam, se penche tout particulièrement sur cette problématique : il insiste sur les dangers que comporte, pour l’être humain, le fait de « dépasser ses limites naturelles », qui produirait alors désordre et discorde   . Ghamidi est d’avis que « la stabilité sociale est grandement menacée, lorsque les personnes investies de l’autorité morale font un mauvais usage de l’union avec Allah ». Quant à la question des « principes guidant les relations humaines et sociales », les « livres divins » y répondent clairement, autorisant l’homme « à créer une société... qui convient à ses besoins naturels et à ses talents ». L’auteur, à l’instar de la majorité des citoyens et citoyennes pakistanais, estime que la suprématie masculine, d’essence divine, est nécessaire à la survie d’une société de croyants, d’où la difficulté pour tout gouvernement de la République Islamique du Pakistan de réprimer les « châtiments mérités » que des maris infligent à leurs femmes   .

 

 

Des protestations

 

Lorsque Mutmaz Qadri fut présenté au juge, au lendemain de l’assassinat de Salman Taseer dont il s’était rendu coupable, des partisans vinrent le saluer, le couvrant de pétales de roses. La société civile pakistanaise s’interrogea de nouveau sur l’impunité de quelques extrémistes qui semblaient régir les destinées du pays. Mumtaz Qadri, au demeurant, proclama jusqu’à sa pendaison qu’il avait agi selon sa conscience : il s’était contenté de tuer « un apostat qui avait insulté le prophète »   . Cependant il escomptait être maintenu en prison, car le Pakistan tend à tenir emprisonnés les condamnés à la peine capitale.

Au demeurant, Qadri était, même dans la prison d’Adiala (Rawalpindi), une personnalité importante. Dans un sous-continent attaché à une forme de charisme religieux appelé « darshan »   , nombre de prisonniers lui rendaient visite   . Une nouvelle mosquée construite à Islamabad lui avait même été dédiée   .

 

Doit-on y voir le signe d’une nouvelle donne ? Le gouvernement Sharif, en décidant de l’exécution de Qadri, paraissait en tout état de cause témoigner de ce que la rue (et les mouvements politico-religieux capables d’y envoyer des fidèles, certes dûment rétribués   ) n’étaient désormais plus à même d’influer sur les destinées du pays. Il avait sans doute obtenu, au préalable, le consentement à tout le moins tacite de l’armée. 

Mais il est vrai que le sort de Qadri ne suscita pas la condamnation unanime des formations politico-religieuses. Les plus radicaux procèdent en effet de l’obédience déobandie, tandis que Qadri était attaché à la mouvance barelvie   . La BBC, en proposant cette analyse, soulignait cependant la volonté toute nouvelle des instances militaires de restreindre l’influence des groupes militants qui visaient, sinon à renverser le régime, du moins à semer la terreur sur le territoire national   . Des observateurs pakistanais avaient, il est vrai, déjà indiqué bien des années auparavant le danger d’instabilité qui pesait sur l’institution par excellence du pays – l’armée – dont les troupes étaient, à l’instar du reste de la société, minées par les différentes idéologies islamistes. C’était à leur sens la raison pour laquelle nul, au sein de l’armée, ne voulait envisager, en attendant que cette problématique trouve une solution durable, un nouveau coup d’État, préférant un pouvoir civil qui se cantonnerait aux quelques domaines dont la gestion lui était confiée. Les forces armées ont-elles jugé désormais nécessaire d’endiguer l’influence des forces religieuses ?

 

Suite à l’exécution de Qadri, Rawalpindi et Islamabad mais également Lahore et Karachi furent la scène de manifestations, aux cris de « Longue vie au martyr Qadri ». Les pouvoirs publics, par une directive contraignante, enjoignirent aux différentes chaînes de télévision de s’abstenir de diffuser les images de ces événements, et de débattre de la pendaison de Qadri. La sécurité du Président de la République Mamnoon Hussain, qui avait refusé la demande de grâce de Qadri, fut renforcée. Deux chauffeurs du convoi présidentiel, qui soudainement conduisaient plus lentement qu’à l’accoutumée, furent incarcérés à la prison de Lahore. 

Outre les manifestations mentionnées ci-dessus, plus de 2000 partisans de Qadri engagèrent un sit-in, notamment sur le parvis du Parlement. Ils en profitèrent pour s’insurger publiquement contre un possible amendement de la loi sur le blasphème à l'origine de l'attentat de Qadri, réclamant l’exécution de toutes les personnes condamnées en vertu de cette législation, y compris Aasia Bibi dont Salman Taseer avait demandé la grâce. Et ils exigeaient que l’État accorde le statut de shahid (martyr) à Qadri, lui dédiant un jour férié

 

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