Génération Tahrir se compose de photos, de dessins et de textes qui racontent les espoirs, les luttes et les défaites des jeunes qui ont fait la révolution de 2011. Aujourd'hui leur vie n'est plus la même. Leurs destins témoignent de ce que « la révolution est inachevée », mots sur lesquels se conclut le livre. 

 

« Nous sommes ici pour célébrer nos frères, nos pères et leurs collègues de la police égyptienne (...) qui, pour nous, ont sacrifié leur vie et versé leur sang », a déclaré l'un des manifestants de la place Tahrir, Refaat Sabry, 52 ans. Il portait au revers de sa veste une épinglette représentant l'actuel « raïs » égyptien, Abdel Fattah al-Sissi. « Continuez, M. le président », proclamait une pancarte brandie par un manifestant sur la place, épicentre du soulèvement de 2011. D'autres manifestants offraient des fleurs aux policiers. Des officiers des services de sécurité distribuaient aux passants des tracts qui proclamaient : « la police au service du peuple ». Voilà ce que l’on pouvait lire dans la presse récemment, le 25 février, journée qui pourtant avait vu naître la révolution égyptienne de 2011. Ce n’est pas celle-ci qui est célébrée, mais la résistance et le « sacrifice » de la police. Les dix-huit jours du Printemps arabe de la place Tahrir semblent loin. Mais loin ne veut pas dire oubliés.

 

L’idéologie a toujours contribué à raffermir les fondations du pouvoir. Elle construit une mémoire figée du passé, des célébrations de valeurs immuables, au service du maintien de l’ordre. Dans cette mise en scène de la célébration, aucun signe de contestation n'est visible : c'est un acte de soumission, de peur face à l’État policier. Dans De l’esprit des Lois, Montesquieu affirmait que la peur est à l’origine du despotisme. Abd al-Rahman al-Kawâkibî, réformateur musulman du XIVè siècle, s'est aussi intéressé aux mécanismes du despotisme. Dans son livre Du despotisme   , il écrit ainsi : « Les formes les plus odieuses du despotisme sont la domination de l’ignorance sur le savoir et de la passion sur la raison »   . Le printemps égyptien au contraire, fut mouvement euphorique et dépassement de la peur. 

Dans Génération Tahrir, les photos de Pauline Beugnies reproduisent ce mouvement de révolte et de joie : 

 

©Pauline Beugnies

 

Pauline Beugnies est journaliste. En 2011, elle était avec la jeunesse,« étincelle de la révolution égyptienne », écrit-elle. Elle photographiait alors cette sortie du silence. Aujourd’hui, après un moment de fascination un peu trop romantique, comme elle dit, elle a recouvré brutalement la vue. Si la presse étrangère a quitté les leiux après les événements violents qui ont marqué l’Égypte, Pauline Beugnies est restée, elle a continué à photographier. C'est pour elle une façon de ne pas « abandonner » une jeunesse en quête de démocratie et de liberté   .

En janvier 2011, les jeunes criaient « Nous sommes tous des Khaled Saïd ». Khaled Saïd était un jeune Alexandrin battu à mort par la police pour avoir posté sur les réseaux sociaux une vidéo rendant compte des trafics policiers. Ce fut le point de départ de quelques jours où la liberté s’afficha,où le désir de vivre dépassait la crainte de mourir. Le 11 février, Hosni Moubarak est déchu de son pouvoir paternaliste, autoritaire.

Puis, le 9 octobre 2011, Pauline Beugnies retrouve dix-huit de ces jeunes à la morgue de l’hôpital copte de Khamsès. En Egypte la parole est à nouveau bâillonnée, muselée, surtout depuis que le maréchal Al-Sissi est arrivé au pouvoir, en mai 2014. Que sont devenus ces  jeunes révolutionnaires ? Combien d'entre eux moisissent aujourd'hui en prison ? Combien se sont enfuis ou sont tombés sous les balles ?

 

 

©Ammar Abo Bakr

 

Pauline Beugnies écrit ses souvenirs des jous de lutte. Soleyfa fut sa chef de groupe lors du premier jour de la révolution. Ce même jour, elle rencontre Ahmed, qui expliquait à tous comment se servir des téléphones portables pour diffuser les informations, et Chaima, organisatrice de la marche vers la place Tahrir. « J’ai puisé mes forces auprès de cette jeunesse », écrit-elle. Elle a fait ce livre pour que ces visages ne soient jamais effacés par le temps qui éloigne le souvenir. À son travail elle a associé Ammar Abo Bakr, dessinateur   , et Ahmed Nagy, écrivain, deux artistes égyptiens qui incarnent et racontent cette génération.

Le livre, Génération Tahrir, se compose de photos, de dessins et de textes. Il s’agit de sauver la mémoire au présent. Les photos restituent la spontanéité de l’instant. Les dessins complètent la photographie en donnant à voir ce qui ne peut être saisi par la caméra. Les photos croisent le destin de ces jeunes révolutionnaires. On y voit le mouvement, la détermination.

Sur une photographie, une femme est seule devant une cohorte de policiers casqués et en armure, comme à signifier la disproportion qui rend impossible le dialogue. Elle tourne le dos au mur constitué par les agents du service d'ordre, regarde derrière la caméra. Elle lève les bras, semble faire un geste d'encouragement. Sur d'autres photos, on voit des personnes sourier au milieu des manifestants. Mais d'autres montrent aussi les humiliations, les tests de virginité imposés aux femmes arrêtées... La violence est toujours là.

 

 

©Pauline Beugnies

 

Chaima, qui avait organisé la marche vers Place Tahrir, aujourd’hui veut fuir pour vivre. Elle a ôté son voile et ne se mariera pas selon les normes de la société égyptienne. Mais si elle garde l’espoir, c’est pour une autre génération que la sienne. Ahmed Douma est condamné à vie à la prison pour rassemblement illégal. Mina Daniel a été tué, il fait partie des dix-huit corps retrouvés à la morgue de l’hôpital copte.

Ce livre est un hommage à la mémoire vive

 

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