Tous les jeudis, Nonfiction vous propose un Actuel Moyen Âge. Aujourd'hui, comment l'extrême violence reflète les peurs d'une société face à ses propres dérives... 

 

Le Journal d’un bourgeois de Paris, racontant la reddition de Meaux à Henri V en 1422, en pleine guerre de Cent Ans, présente un épisode tout à fait singulier. Le roi d’Angleterre fait décapiter un prisonnier, le bâtard de Vaurus, et suspendre son corps à un arbre au dehors de la ville. Selon l’auteur du Journal, cet acte est justifié par la cruauté du bâtard de Vaurus, personnage secondaire de la guerre de Cent Ans. La puissance de ce récit tient dans la transgression violente de tabous. Vaurus avait en effet capturé et fait exécuter un laboureur malgré le paiement, quoique tardif, de la rançon par sa jeune épouse enceinte qui, à l’annonce de la mort de son époux, devint folle de douleur et insulta Vaurus qui la fit battre et pendre à l’orme. Dépecés par les loups, la femme et l’enfant dont elle avait accouché périrent la nuit suivante.  En réalité, l’auteur du récit du Bourgeois de Paris reprend largement des stéréotypes culturels et politiques qui avaient cours à cette époque-là. Et c’est bien cela qui fait douter de la véracité des faits. Selon Boris Bove, ceux-ci sont trop conformes à l’idée que se faisaient les Parisiens des routiers armagnacs de Meaux pour ne pas être suspects.

 

La maltraitance à l’égard de l’enfant et de la femme enceinte  : un tabou qui traverse les siècles

 

Des siècles plus tard, dans les années 2015, des voix s’élèvent contre le harcèlement à l’école. En 2014, le clip College Boy du groupe Indochine, réalisé par Xavier Dolan, s’attire les foudres de certaines personnalités telles que Catherine Laborde. Ce clip met en scène la maltraitance d’un écolier qui finit crucifié par ses camarades. Le réalisateur canadien, dans une lettre ouverte publiée sur le Huffington post et adressée à Françoise Laborde, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) qui en a exigé l'interdiction aux moins de 18 ans à la télévision, précise vouloir combattre la violence par la violence.  À des siècles d’intervalle donc, deux productions artistiques, le récit du Bourgeois de Paris et le clip d’Indochine, interrogent la violence et l’extrême violence, mais surtout les tabous et les peurs de leurs sociétés qui sont finalement les mêmes  : la maltraitance à l’égard de la femme enceinte et de l’enfant. Comment faut-il alors comprendre ces récits de violence extrême ? Comme des formes de dénonciation ? Si le récit du Bourgeois de Paris traduisait les peurs des Parisiens en plein conflit militaire, le clip de Xavier Dolan renvoie aux errements et aux peurs de la société française contemporaine.

 

Figurer la violence extrême : un moyen de lutter contre les peurs de la société ?

 

Il y a quelques mois de cela, le ministère de l’éducation nationale a lancé une campagne contre le harcèlement à l’école et a produit une vidéo d’une minute. Cette dernière vidéo a aussi suscité la polémique, mais plutôt en ce qui concerne le rôle de l’enseignante sur laquelle semble retomber la faute. Ce qui est intéressant c’est que pour traiter de ce problème « tabou », pas de réelle violence à l’écran cette fois-ci, mais une violence que le spectateur peut imaginer. Dans la vidéo, Baptiste, élève aux cheveux roux, est la cible, pendant le cours, de moqueries et autres boulettes de papier lancées par ses camarades. À la différence du clip musical d’Indochine, la fin est heureuse puisqu'une jeune élève vient consoler Baptiste en lui offrant son aide.

Ainsi, de polémique en polémique, outre la question du jugement ou de la condamnation de ces œuvres, il faut interroger leur sens en considérant leur contexte. Car, à toute époque, les sociétés produisent leurs propres souffrances, leurs propres tabous et leur propre violence. Comme le montre bien ces deux polémiques, autour du clip d’Indochine et de la vidéo sur le harcèlement, nos sociétés refusent de combattre la violence par la violence et condamnent sa représentation extrême dans les médias. Une question subsiste alors : ne pas figurer la violence permet-il vraiment de s’en prémunir ?

 

 

Pour aller plus loin :

- Boris Bove, « Violence extrême, rumeur et crise de l’ordre public : la tyrannie du bâtard de Vaurus » dans Violences souveraines au Moyen Âge. Travaux d’une école historique, Paris, PUF, 2010.

- Laure Verdon, « Violence, norme et régulation sociale au Moyen Âge », Rives méditerranéennes, n°40, 2011, p. 11-25.

- Claude Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Editions Picard, 2005.

 

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