Deux ouvrages sur l'histoire de l'écologie politique et sur les enjeux des nouveaux modes de vie durables, dûs à Dominique Bourg. 

Les éditions Plume de carotte, sises à Toulouse, et Dominique Bourg, Professeur à la Faculté de géosciences et de l’environnement à l’université de Lausanne, ont eu la merveilleuse idée d’élaborer un livre portant sur l’histoire de l’écologie politique vue à travers les affiches qui, depuis plus de quarante ans, expriment l’angoisse croissante provoquée par les dégâts potentiellement catastrophiques de notre modernité industrielle. L’ouvrage de grand format  sur papier glacé est absolument splendide, et fait découvrir près de cent cinquante affiches et dessins de presse, rarement connus bien que méritant tous de l’être, depuis la couverture du premier numéro de la revue La Gueule ouverte en novembre 1972 (sous-titré : Le journal qui annonce la fin du monde) réalisée par Pierre Fournier au motif d’un tee-shirt édité par le collectif 07 contre le gaz de schiste en 2014.

Esthétiquement séduisantes, ces affiches sont aussi politiquement significatives, même si, bien entendu, comme le note Dominique Bourg, la diversité des courants qui les portent, les inspirations tout aussi diverses dont elles tirent leurs origines (car on aurait tort de penser que l’écologie est nécessairement de gauche : il existe aussi une écologie politique de droite, obsédée par la surpopulation des pauvres, tenue pour la source unique des turpitudes environnementales), ne peuvent y figurer comme telles, distinctement et explicitement. Le moyen d’expression offert ne permet guère de développer un discours structuré, mais plutôt de faire entendre une plainte ou un coup de gueule, sur le ton de la désolation ou de la colère. Aussi est-ce la dominante protestataire qui ressort le mieux de ce vaste dossier iconographique.

Un dessin de Barbe de 1980, sans légende, représente ainsi une volée d’oiseaux bleus et verts de belle envergure passant au-dessus d’une centrale nucléaire, traversant le nuage épais que crache l’une des cheminées énormes, et ressortant complètement déplumés et presque squelettiques ; une pancarte, accrochée aux barbelés interdisant l’accès au site, déclare ironiquement : "Nuclear Power Station : No Danger". Une autre affiche montre la figure féminine du tableau de Delacroix La Liberté guidant le peuple au milieu d’un champ arrachant un plant d’OGM en soutien des faucheurs volontaires. D’autres encore donnent à voir des immeubles parisiens fauchés par une moissonneuse batteuse s’effaçant devant les tours cubiques à la chaîne, une campagne traditionnelle d’avant le remembrement disparaissant au profit de champs de blé à perte de vue laissant voir le symbole $, une mer morte figurée par des poissons réduits à leurs arrêtes, etc. De temps à autre, la déploration et la critique prennent des allures poétiques comme cette tour de centrale nucléaire qu’un agent décore en y peignant des cœurs, ou l’image de la Terre blessée et pansée.

Cet ouvrage, qui est un livre d’art à part entière (on y trouve par exemple de magnifiques aquarelles de Reiser, de Granger, des dessins de Sempé, de Dom, etc.), est aussi un essai philosophique original, dû à la plume de Dominique Bourg, remarquable connaisseur de la philosophie de l’environnement et figure militante qu’il n’est plus nécessaire de présenter. En des pages élégantes qui accompagnent fort agréablement le dossier iconographique, il retrace brièvement l’histoire de l’éveil de la conscience au plan mondial, et plus précisément la naissance de l’écologie politique en France dans les années 1970, qu’il distingue soigneusement de la pensée écologique en ce que l’écologie politique est inséparable d’une constellation d’oppositions plus ou moins radicales à la société industrielle. Si les pièces principales d’une telle histoire sont déjà connues de quelques-uns, il faut souligner l’ampleur peu commune de l’information mobilisée par Dominique Bourg, qui ne néglige aucun think tank, aucun entrefilet journalistique ni aucune publication scientifique. On saluera de ce point de vue l’effort de Dominique Bourg de réhabiliter une figure quelque peu oubliée de l’écologie politique française, à savoir Bernard Charbonneau, qui mérite bien de figurer dans le même panthéon que Bertrand de Jouvenel, Serge Moscovici, Cornélius Castoriadis, Félix Guattari et André Gorz. On appréciera aussi la remarque fort suggestive invitant à voir en Montaigne "le héraut d’un pensée écologique qui n’adviendra qu’au couchant de la modernité"   .

On lira avec attention enfin la page très polémique, dont on imagine aisément que l’auteur n’a pas dû l’écrire d’un cœur léger, à l’encontre du parti Europe Ecologie - Les Verts (EELV), dont hélas il n’y a pas un mot à contester : "En novembre 2010 sera formé un nouveau parti, Europe Ecologie – Les Verts. Le bilan de cette histoire est relativement mitigé. En participant avec les socialistes au pouvoir, ils ne sont parvenus à imposer aucune réforme environnementale un tant soit peu structurelle. Toutes les lois et dispositifs environnementaux hexagonaux, de la création du ministère en novembre 1971, jusqu’au Grenelle de l’environnement en 2007, en passant par la loi de protection de la nature de 1976, etc., ont été le fait de gouvernements de droite. Il est même possible de s’interroger sur le degré de conviction idéologique de l’appareil EELV. Il n’incarne que mollement la cause environnementale et n’a que peu de relations avec les milieux qui portent à des titres divers cette question. L’identité des Verts, à l’échelle nationale, nous semble avoir plus affaire avec les défenses des minorités et de leurs droits qu’avec les questions écologiques. (…) Grosso modo, les socialistes ont jeté aux orties les classes populaires comme les Verts ont bazardé l’écologie, et les uns et les autres se sont retrouvés autour du mariage pour tous. Ils ont opté pour l’individualisme libéral, pour l’affirmation sans limites des droits individuels, choses qui ne font guère bon ménage avec ce qu’exigerait une authentique défense des biens communs comme le climat ou la richesse génétique des populations"   .

Comme le donne à penser cette page, Dominique Bourg ne se contente pas de restituer l’histoire de l’écologie politique française au cours des quarante dernières années, comme d’autres ont pu le faire avant lui   – avec un luxe de détails sur les mobilisations contre l’énergie solaire, l’éolienne, le nucléaire, le gaz de schiste, les OGM, les marées noires, etc., au Larzac et à Notre-Dame-des-Landes et ailleurs encore, qu’on ne trouve pas ailleurs cela dit –, il défend des options philosophiques qui lui sont propres et qu’il a exposées longuement dans diverses publications qui font aujourd’hui référence   . L’ouvrage n’est donc pas seulement un "beau livre" qu’il conviendrait de ranger au rayon des livres d’art, mais une contribution philosophique de plus de celui que l’on peut bien tenir pour l’un des principaux penseurs contemporains de l’écologie.

Signalons pour finir la publication d'un volume collectif, sous la direction du même Dominique Bourg (ainsi que de  Carine Dartiguepeyrou, Caroline Gervais et Olivier Perrin) qui présente un panorama fort utile des réflexions actuelles sur les nouveaux modes de vie durables. Issu d'un programme de recherche, il donne la parole à des chercheurs mais aussi à des décideurs et des personnalités politiques. Chacun à sa façon essaie de dessiner des pistes pour accéler le changement vers des modes de vie durables, c'est-à-dire une société où le vive ensemble, la qualité de vie et la liberté de chacun seraient assurés, sans mettre en danger les grands équilibres écologiques dont nous dépendons. Parmi la vingtaine de contributions recuellies dans le volume, signalons particulièrement celle de Tim Jackson sur ce qu'il appelle la cage de fer du consumérisme   et last but not least, les réflexions de Dominique Bourg lui-même