Du théâtre comme installation plastique : Romeo Castellucci trace les lignes du premier tableau de son Ethica.

 

Aller voir une pièce de Romeo Castellucci c'est aller se faire l'œil et l'oreille. Inutile donc de venir chercher dans Natura e Origine della Mente (« De la nature et de l'origine de l'esprit »), les propositions, démonstrations et scolies de Spinoza. Si le projet Ethica se déclare inspiré de l'oeuvre éponyme du philosophe néerlandais (et ici le Livre I), celui-ci est conçu sous la forme d'actions théâtrales. L'action, étymologiquement le drame en théâtre, ne relève pas ici d'un récit ou d'une narration comme il nous est habituellement donnée à entendre. L'action théâtrale s'exécute comme une performance qui tient compte d'un espace, d'un volume, de lumières, de couleurs et de lignes. Romeo Castellucci ne manque pas de préciser que « c'est ici et seulement dans ce lieu [le théâtre de Gennevilliers] que ce travail peut se faire et se concevoir ». Ce tableau I se v(o)it comme une oeuvre plastique et sonore, une installation vivante dans laquelle le spectateur est mis en situation.

 

Et cette mise en situation commence dès que vous tendez votre billet à l'ouvreur. Vous entrez dans la salle un par un mais, au lieu de prendre place sur un siège, on vous invite à patienter en lisière du plateau, rendu aveugle par un grand mur. Puis s'y découpe une forme étroite et courbe dans laquelle vous vous glissez – un par un – pour arriver sur le plateau. L'espace est donné : vous êtes debout dans un cube, tellement blanc qu'il en est presque aveuglant. Au milieu du volume, une femme est suspendue à un fil par l'index. La silhouette découpée, par laquelle le spectateur est entré, apparaît en perspective alors familière. Et un gros chien (berger du Tibet à ses heures) miaule, parle et vaque entre les spectateurs. Trinité ou forme géométrique triangulaire constituée par les trois personnages qui incarnent, respectivement, la Lumière, l'Esprit et la Caméra.

 

S'engagent alors des dialogues quasi-sibyllins qui se croisent en suspension pendant une quarantaine de minutes. Tandis que l'Esprit laisse entrevoir dans sa profondeur une multiplicité de voix, de corps et de natures, que le chien-chat se fait railleur, la Lumière regrette de ne pouvoir « éclairer l'invisible » ni « à la fois dire et éprouver les mots ». « Tu es né pour passer et faire passer » nous répète la Caméra. Au spectateur de traverser l'étrangeté qui naît de la forme. Comme le dramaturge le déclare d'ailleurs dans un entretien donné à nonfiction : « On vient au théâtre pour le théâtre, et pas pour un message »

 

Ethica, Natura e Origine della Mente

Conception et direction : Romeo Castellucci
Texte : Claudia Castellucci

Théâtre de Gennevilliers du 7 au 13 mars.

Durée : 1 heure environ

Crédits photo : @Guido Mencari