Personnage phare du Festival d'Automne 2015, Roméo Castellucci est en ce moment à l'affiche de L'Odéon-Théâtre de l'Europe avec Orestie, une comédie organique ? vingt ans après qu'elle ait été jouée pour la première fois.

 

À l'occasion du cycle des Scènes Imaginaires, intégré aux Bibliothèques de l'Odéon et en partenariat avec France Culture, Arnaud Laporte et Romeo Castellucci ont échangé deux heures durant au sujet du théâtre, conversation ponctuée de lectures choisies par le metteur en scène et dramaturge pour le rôle qu'elles ont joué dans sa vie d'homme et d'artiste.

La littérature, une découverte tardive

Romeo Castellucci n'a pas été en contact avec les livres dès sa plus tendre enfance, et doit davantage son éducation à la rue qu'à la fréquentation des bibliothèques. Ce n'est qu'à travers l'histoire de l'art qu'il a commencé à lire, devenant au fil des années un lecteur compulsif, pour qui la lecture est aussi indispensable que l'alimentation. À la question : pourquoi les femmes sont-elles absentes des textes choisis à l'occasion de cette rencontre, il rétorque que la femme est malheureusement arrivée plus tard dans l'histoire de la littérature, et qu'il lui a donc paru difficile d'intégrer une ici plume féminine.

Le premier extrait est issu d'un roman de David Foster Wallace, dont Romeo Castellucci admire le sens du détail et la contemporanéité, alors même que son œuvre est principalement orientée vers l'ancien, l'oubli et la rhétorique. Il y a selon lui chez David Foster Wallace une possibilité de reconstituer la puissance de la banalité, si bien que la moindre anecdote est aussi une question de vie ou de mort. Il libère en quelques sortes un certain « absolutisme de la réalité ». Romeo Castellucci avoue avoir été très influencé par David Foster Wallace, et affirme que sa mort a laissé place à un très grand vide.

Le théâtre, l'acteur et l'animal

Une des théories de Romeo Castellucci au sujet du théâtre est de vouloir tendre vers l'animalité pour arriver à la poésie. Il va même jusqu'à affirmer vouloir finir sa vie seul et entouré d'animaux. Lui qui se trouve paradoxalement mal à l'aise par rapport à la parole reconnaît que face à l'animal il est impossible de mentir. Il va jusqu'à faire de l'animal une question centrale dans le théâtre : la disparition du sacrifice de l'animal en Grèce a laissé place au substitut qu'est l'acteur, et chaque acteur porte en lui le cri de l'animal. Avoir un animal sur scène, c'est amener une chose qui suspend le langage, car elle reste hors de contrôle (comment ne pas penser au taureau de Moses und Aron?). La question de l'animal est la substance même du théâtre, dans la mesure où c'est un acte de présence.

À cette question de l'animal vient s'ajouter celle de la machine. L'acteur est à la fois animal et machine, une synthèse des deux pour le moins paradoxale. L'acteur est un corps, mais un corps vidé qui a une pure fonction. Il est nécessaire d'écarter l'humain pour voir l'acteur. L'Orestie d'Eschyle est en ce sens un chef d'œuvre de l'imagination humaine, et de sa capacité à faire naître ce qu'il y a de plus épouvantable, jusqu'à l'inacceptable.

Langage et dramaturgie

Romeo Castellucci propose une herméneutique du texte de l'Orestie, mais son herméneutique est davantage une dramaturgie, une perversion et un acte purement arbitraire à travers lequel il se propose de prendre la place d'Eschyle.  En ce sens, la dramaturgie peut devenir une voie privilégiée pour réveiller la forme. Regarder, c'est dépasser l'objet. Au théâtre, le rôle du spectateur est de former l'objet qu'il a en face de lui, dans une sorte d'épiphanie individuelle.

Le langage est une difficulté, et la sphère du langage un champ de bataille.  Donner une réponse revient alors à tuer la question, qui est pourtant plus belle que tout. D'où la question fondamentale de l'incarnation, qui s'applique à chacun de nous : pourquoi suis-je «  tombé » dans ce corps qui est le mien?

Le silence dans la tragédie

Plus le héros parle, plus il produit du silence. La tragédie est toujours une tragédie de la parole, une hémorragie du langage. Si le silence absolu n'existe pas, alors il faut le produire, car il n'est pas seulement l'absence de bruit. Le silence se prépare. Sous chaque langage, pour les Grecs, il y a un silence abyssal, qui n'est pas le même que le silence acoustique.

La naissance de la tragédie c'est le crépuscule du dieu, car elle prend sa place et remplit une absence. Chez Hölderlin, ce n'est plus la présence de Dieu mais son absence qui rassure l'homme.

Le théâtre, une tautologie ?

Pour Romeo Castellucci, le théâtre est une forme absolument tautologique. On vient au théâtre pour le théâtre, et pas pour un message

 
 

Théâtre de l'Odéon, Place de l'Odéon, 75006 Paris

Réservations : 01 44 95 98 21

Site du théâtre : http://www.theatre-odeon.eu/
Durée : 1 h 15

10 € | 5 € (Hors abonnement)