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Le 2 décembre dernier, le film Demain, réalisé par Mélanie Laurent et Cyril Dion, est sorti en salle. Un « phénomène de société », selon un article du Monde du 3 février.

Il envisage de façon plutôt optimiste la question de la crise écologique, en présentant une série de microsolutions qui marchent. Parmi ces solutions, le concept de « permaculture » remporte la part du lion, illustré par l’exemple bien connu de Détroit, dans le Michigan.

Ville développée autour de l’industrie automobile, Détroit est aujourd’hui sinistrée par la crise industrielle, désertée par ses habitants qui avaient les moyens, laissant derrière eux un paysage urbain littéralement en friche. Une partie des habitants s’est alors retroussé les manches, pour cultiver ces friches urbaines, cherchant à produire au sein de la ville une partie des produits frais qu’ils consomment. Bref on cultive dans la ville, parce que la ville cesse d’être dense, et cesse d’être riche. Mais si on regarde en arrière, c’est ce qu’on a toujours fait avant le XVIIIe siècle. Alors, le Moyen Âge, pionnier de l’agriculture urbaine ?

 

Des légumes dans les villes

 

Les villes n’ont jamais cessé d’être productives. Avant de générer les flux d’information actuels, elles étaient et sont encore dans certaines régions de hauts lieux de l’industrie. Au Moyen Âge, elles sont en partie des espaces agricoles. Les véritables champs sont rares au cœur des villes, surtout à mesure que la trame urbaine se densifie, comme c’est rapidement le cas en Italie. Mais on y trouve des jardins familiaux cultivés au titre d’activité complémentaire. Dans les zones humides s’organisent des maraîchages, autour des remparts des potagers. Les vergers apportent pommes et poires, et les villes dont le climat le permet auraient même eu des pieds de vigne.

La culture urbaine est donc une réalité omniprésente, d’abord parce qu’elle est une nécessité reconnue. Les risques de disette sont toujours là : une mauvaise récolte comme une guerre peuvent faire diminuer les provisions et flamber le prix du pain. Dans le pire des cas la ville peut être assiégée, et ses habitants retranchés derrière les remparts seront réduits à leurs cultures et à leurs réserves en espérant que celles de l’assaillant s’épuisent d’abord. Et puis ces cultures sont aussi utiles à une période de l’année particulièrement redoutée : celle de la soudure, quand les greniers sont vides, qu’on a fini de manger la récolte de l’année précédente, mais que celle de l’année à venir se fait encore attendre. D’ailleurs au Moyen Âge, ce n’est pas pendant l’hiver que la mortalité augmente le plus, mais au printemps. Face à ces nécessités, les villes qui apparaissent aux Xe et XIe siècles doivent produire, non pour atteindre l'autosubsistance, mais pour atténuer leur fragilité.

 

Bio, local (et médiéval)

 

Que peut-on espérer tirer de ces microcultures ? On cultive une série d’aliments qui se retrouvent aujourd’hui en devanture des magasins bio : le chou, les poireaux, les navets, les carottes. Et des légumineuses en quantité : des fèves, des pois, des haricots. Ce sont d’ailleurs celles que les végétariens, végétaliens et autres flexitariens recherchent aujourd’hui pour compléter leur alimentation, le soja et la pomme de terre n'arrivant que bien après le Moyen Âge en Europe. Et bien sûr on élève quelques animaux, surtout de basse-cour, pour ceux qui en ont les moyens. Pour ce qui concerne les gros animaux, le porc, la vache et le mouton sont les viandes les plus représentées, mais on n’y a pas accès tout le temps et on les élève peu dans les villes.

Tout cela ne nourrit pas son homme, mais sert à varier légèrement les menus qui, pour l’essentiel de la population, sont faits exclusivement de pain. D’ailleurs, l’ensemble des aliments qu’on mange à côté du pain, légumes, œufs ou viande, prend le nom de companage. Indéniablement, on mange local. Par contre, avec une consommation de pain estimée à 1 kg par personne et par jour, pas question d’être allergique au gluten. Le quotidien est sans doute fait de pain et de soupe au chou, un peu comme si on s'en tenait aux paniers AMAP en hiver pour nous nourrir.

 

Le Moyen Âge : un peuple de bobos ?

 

Ces cultures urbaines sont difficiles à cerner pour les historiens. Et pour cause : aucune loi ne vient encadrer cette pratique, aucun impôt n’est perçu sur des cultures vouées à l’autoconsommation… et donc aucune archive n’est produite. On sait qu’elles existaient par certaines représentations, certains récits, mais l’agriculture urbaine échappe aux autorités publiques : elle dépend d’autres structures sociales, fondées sur des solidarités locales et communautaires. Voilà le rêve de Rob Hopkins, fondateur du mouvement des villes en transition, pour qui la résilience doit passer par la recréation d’un échelon entre individus et États : celui de la communauté.

Dans le film Demain, l’idée revient sans cesse : il faut des cultures et des conversations, et l’agriculture urbaine est aussi un outil au service du social. Dans les villes où l'alimentation est garantie, on travaillerait la terre pas parce qu’on a faim, mais pour faire ou refaire du lien. Or le Moyen Âge faisait exactement le contraire : les solidarités y étaient fortes justement parce qu’elles aidaient à survivre. C'est la précarité qui générait ces liens... Le film a donc le grand mérite de lier la question de l'alimentation à celle de la démocratie locale. Mais dans des villes riches, sur quel groupe peut reposer une agriculture locale ? La famille ? La copropriété ? Le quartier ? Si la création d'un jardin partagé est un luxe et non une nécessité, peut-on vraiment faire l'économie des pouvoirs publics ? Hier comme Demain, les légumes qui poussent en ville ne remplissent pas vraiment les estomacs mais nourrissent des histoires, toujours à la marge




Pour aller plus loin :

- Rob Hopkins, Manuel de transition, de la dépendance pétrolière à la résilience locale, trad. Michel Durand, Montréal, Ecosociété, 2010.

- Bruno Laurioux, Manger au Moyen Âge. Pratiques et discours alimentaires en Europe aux XIVe et XVe siècles, Paris, Hachettes, 2002.

- Jean Louis Flandrin, Massimo Montanari (dir.), Histoire de l’alimentation, Paris, Fayard, 1996.

 

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