Chaque semaine dans « Nation ? (chronique) », Maryse Emel présente des essais ou des œuvres, des intellectuels ou des artistes qui nous permettent de repenser nos manières de vivre ensemble au XXIe siècle. Cette semaine elle rend hommage à des hommes et des femmes au service de la culture et dont la mort n’est pas la chute dans l’oubli.
Ils sont morts en ce mois de janvier 2016 : Ettore Scola, cinéaste, Michel Tournier, écrivain, Pierre Boulez, compositeur et chef d'orchestre, Michel Delpech, auteur-compositeur, Michel Galabru, acteur, David Bowie, musicien, chanteur, Alan Rickman, l'interprète, entre autres, du Professeur Rogue dans la saga Harry Potter...mais aussi acteur shakespearien et réallisateur, René Angelil, producteur de Céline Dion, Otis Clay, chanteur de soul et R&B, Vilmos Zsigmond, chef opérateur, Robert Stigwood, le producteur des Bee Gees et d’Eric Clapton, Silvana Pampanini, actrice, Yves Vincent, acteur, André Courrèges, couturier, Edmonde Charles Roux, écrivain …
Une fissure dans le monde de la culture. Je leur donne la parole dans la chronique de ce lundi. Ils ont en effet contribué, chacun à leur façon, à construire une image de la nation, du peuple, de la révolte. Derrière un comique populaire, pas toujours conforme aux attentes de la culture officielle, ils ont pour certains, prêté leur voix à ceux dont on ne parle que très peu, ceux qui ne sont pas les « héritiers ». Derrière leurs mots, leurs musiques, leurs créations, s’exprime cette diversité qui fait ce que l’on nomme culture.
Étymologiquement « hommage » signifie le devoir que le vassal était tenu de rendre à son seigneur », puis, dans l’univers de l’amour courtois la « marque de déférence, de courtoisie » adressée à une femme. Il est ensuite employé dans le langage militaire. On rend hommage à celui qui a servi la patrie.
La nation a ses mythes, ses idéologues, ses idoles qui rassemblent. Elle n’a pas seulement « un » lien que l’on qualifierait de social : elle est entrelacs, nébuleuse.
Marc Augé écrivait : « On peut dire de la culture ce que l'on peut dire de toute identité individuelle ou collective : elle se construit à l'épreuve des autres. Pas de culture sans emprunt ; l'élitisme individuel devient donc contradictoire s'il est poussé à l'extrême. »
Nous leur laissons la parole...
Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1967
« Exister, qu'est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire être dehors, sistere ex. Ce qui est à l'extérieur existe. Ce qui est à l'intérieur n'existe pas. Mes idées, mes images, mes rêves n'existent pas. [...] je n'existe qu'en m'évadant de moi-même vers autrui. Ce qui complique tout, c'est que ce qui n'existe pas s'acharne à faire croire le contraire. Il y a une grande et commune aspiration de l'inexistant vers l'existence. C'est comme une force centrifuge qui pousserait vers le dehors tout ce qui remue en moi, images, rêveries, projets, fantasmes, désirs, obsessions. Ce qui n'ex-siste pas in-siste. Insiste pour exister. »
David Bowie : The Next Day (Le Jour d'après) de son avant dernier album (2013).
« Regarde dans mes yeux » lui dit-il
« Je vais dire au revoir » dit-il,
« Ne pleure pas », elle mendie son au revoir,
Toute la journée elle a pensé à son amour,
Il l'ont fouetté à travers les rues et les allées
là-bas
Les gogos (naifs) et la foule aboyant juste là bas
Ils n'ont jamais assez de cette chanson apocalyptique
Ils n'ont jamais assez de tout ça
Ecoute!
« Ecoute les putes » lui dit-il
Il en a fait des sculptures de papier
Puis les a traînées à la banque de la rivière dans un
chariot
Leur corps en papier mâché s'échouent dans le noir
Et le prêtre, raide de haine, demande que la fête
commence
Avec ses femmes travesties en homme pour son bon plaisir
Me voici, je ne suis pas vraiment mort
Mon corps abandonné à pourrir dans le creux d'un arbre
Dont les branches jettent des ombres sur ma potence
Et le jour d'après,
et le prochain,
et un autre jour (...)
D'abord ils vous donnent tout ce que vous voulez
Ensuite ils reprennent tout ce que vous avez
Ils vivent sur leurs pieds et meurent à genoux
Ils peuvent travailler avec Satan tandis qu'ils sont vêtus
comme des saints
Ils savent que dieu existe puisque le diable le leur a dit
Ils crient mon nom tout haut au fond du puits du dessous
Me voici, je ne suis pas vraiment mort
Mon corps abandonné à pourrir dans cet arbre creux
dont les branches jettent des ombres sur ma potence
Et le jour d'après,
et le prochain,
et un autre jour.
Michel Galabru
Scène cultes de Galabru : le comique populaire avec Yves Vincent dans Le Gendarme de Saint Tropez.
Michel Delpech ou la chanson populaire
Elle est née dans le Paris 1790
Comme une rose épanouie
Au jardin des fleurs de lys.
Marianne a cinq enfants
Qu'elle élève de son mieux
Marianne a maintenant
Quelques rides au coin des yeux.
Dieu ! Mais que Marianne était jolie
Quand elle marchait dans les rues de Paris
En chantant à pleine voix :
« Ça ira ça ira... toute la vie. » (...)
Il n'y a pas si longtemps
Que l'on se battait pour elle
On a connu des printemps
Qui brillaient sous son soleil.
Marianne a cinq enfants,
Quatre fils qu'elle a perdus
Le cinquième à présent
Qu'elle ne reconnaît plus.
Dieu ! Mais que Marianne était jolie...
Ettore Scola , un « politique » au service de la comédie italienne
En 1977, il réalise Une journée particulière, film politique où l'on suit Marcello Mastroianni et Sophia Loren, se découvrant l'un l'autre dans un amour naissant mais impossible, sur fond de fascisme triomphant. La scène où ces deux immenses acteurs se déplacent entre les draps qui sèchent au soleil sur la terrasse du « palazzo » romain où ils sont restés seuls, est l'une des plus belles du cinéma italien, selon le critique cinématographique Francesco Castelnuovo. « Elle influence encore de jeunes réalisateurs », a-t-il assuré, interrogé sur la chaîne SkyTG24.
Extrait d’Une journée particulière
Silvana Pampanini, actrice italienne
Une autre façon de voir l’Italie : Toto': I Pompieri di Viggiù (Les pompiers chez les Pin-Up), Mario Mattoli, 1949
Edmonde Charles-Roux
Elle a écrit, entre autres, Oublier Palerme, roman pour lequel elle obtient le prix Goncourt en 1966 : « L’oisiveté de Tante Rosie, ses longs loisirs se nourrissaient d’une pensée unique, rendue naturelle à force de conviction: "Faire jeune." [...] Pendant des semaines, elle disparaissait dans des cliniques qui lui coûtaient fort cher. [...] Elle en revenait un peu fébrile, fière d’offrir aux regards un front lisse de momie, méconnaissable, figée, une autre femme. [...] Pauvre Tante Rosie, victime de la beauté obligatoire, de la jeunesse forcée, farcie de paraffine, faufilé de nylon... »
André Courrèges, couturier
Pierre Boulez
Ecouter Pli selon pli
Otis Clay
Ecouter Precious Precious