Affirmer aimer Georges Bernanos, c’est voir dans l’œil de celui qui vous écoute un étonnement, une interrogation. N’est-il pas trop réactionnaire ? Ses pensées et écrits ne sont-ils pas d’un autre temps ? Ces réactions sont habituelles et dommages car se pencher sur l’œuvre de Georges Bernanos ouvre à un univers littéraire où le surnaturel et la notion de Bien et de Mal sont fondamentalement liés à l’esprit des hommes. Souvent caricaturée, peu étudiée, et finalement peu connue, l’œuvre de Bernanos est pourtant riche de l’évolution de son auteur.

Georges Bernanos naît en 1888, à Paris. Il est catholique fervent, monarchiste acharné, antisémite suivant les thèses de Drumont et maurassien durant un temps… Vivant successivement à Paris, aux Baléares, puis au Brésil, il est profondément contre la reddition de la France en 1940 et se rallie à l’appel du général de Gaulle. À partir de cet instant, il soutient l’action de la France libre en rédigeant pamphlets et critiques contre Vichy. Pourtant, à la Libération, alors que le général de Gaulle lui demande de revenir vivre en France et lui propose, alors pour la troisième fois, la Légion d’honneur, et même un poste de ministre, Bernanos refuse. Il voyage beaucoup, part en Tunisie en 1947, et meurt un an plus tard.

Sa vie, faite d’évolution de sa pensée et d’attachements, tout comme son œuvre, reflète sa vision de ce monde qu’il nous décrit : souvent tragique et sombre, fait de tentation, de combat contre soi-même et contre le diable, où la lâcheté de l’homme imprègne ses actions mais où, paradoxalement, la grâce et parfois la rédemption ne sont jamais loin.

La nouvelle parution de ses œuvres complètes en Pléiade, déjà parues en 1972 et 1995, permet d’en actualiser l’édition critique. En effet, certains des textes ont connu plusieurs publications et, dans le cas précis de Monsieur Ouine, ont parfois été édités selon des idées qui, aujourd’hui, ne vont plus obligatoirement de soi. On trouve également, dans les pages « En marge » des fragments de manuscrits non retenus, des témoignages, des propos tenus par Bernanos sur ses œuvres. Ces deux tomes, précieusement enrichis, sont une très belle façon de se plonger dans l’œuvre de cet auteur majeur du XXe siècle qui a inspiré des écrivains comme Camus, Malraux ou Gide – pour qui Bernanos est dans la lignée de Barbey d’Aurevilly, à quoi Malraux ajoutera « mais en diablement mieux ! » – et des cinéastes comme Bresson ou Pialat – qui adaptera au cinéma Sous le soleil de Satan en 1987, film qui obtiendra, sous les sifflets, la Palme d’or à Cannes, faisant dire à Pialat : « Et si vous ne m’aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. »

Georges Bernanos fut un auteur dont l’œuvre a traversé les tourments d’un siècle perturbé, parfois méprisant, souvent critique, voire cynique, mais admiratif de la combativité de l’homme dans sa foi. La chronologie de la Pléiade, éditée par Gilles Bernanos, petit-fils de l’écrivain, s’achève en laissant la parole à l’auteur de Nouvelle Histoire de Mouchette : « Mes rêves, je les voulais démesurés – sinon, à quoi bon les rêves ? Et voilà précisément pourquoi ils ne m’ont pas déçu. Si je recommençais la vie, je tâcherais de les faire encore plus grands, parce que la vie est infiniment plus grande et plus belle que je n’avais cru »

Georges Bernanos

Œuvres romanesques complètes. Suivi de Dialogues des carmélites. (2 tomes)

Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2672 pages, 130 euros