En deux livres, un panorama complet du nouveau spectre qui hante l'Europe : le national populisme

Les faux semblants du Front National et Les droites extrêmes en Europe analysent l’extrême droite à l’échelle nationale et internationale. Au niveau local comme à l’échelle européenne ou nationale pour la France, l’extrême droite dont le Front National (FN) est la vitrine s’est institutionnalisée au point d’être considérée comme un objet universitaire à part entière.

Si le FN a toujours retenu l’attention des politistes, il est aujourd’hui l’objet deux colloques dont les actes sont publiés aujourd’hui en un volume.  Ainsi le parti d’extrême droite est presque devenu un objet d’étude normal, d’autant plus qu’il ne tient plus aujourd’hui à contredire ses scrutateurs, ni à imposer une doxa historique cherchant à légitimer son histoire. En effet, contrairement à l’autre grand parti qui s’est érigé sur les votes populaires – le PCF –, il ne cherche pas à s’imposer comme le représentant unique d’une classe : au contraire, il réclame le statut de représentant de la nation, en revendiquant les éléments les plus hétéroclites du récit national, de Charles Martel à Valmy, de Jeanne D’Arc à la Fête de la Fédération.

La vingtaine de contributeurs des Faux semblants du Front National décortiquent ainsi le  FN à tous les niveaux, ce qui offre un aperçu exhaustif de sa dynamique mais aussi de ses aspérités et de ses lignes de faiblesse.  Le titre de l’ouvrage indique clairement les impasses d’une lecture dans laquelle le discours du FN serait tenu pour recevable. Si le FN cherche à se dédiaboliser, il demeure dans la majorité de ses fondements identiques à origines. La façade a été repeinte, mais les murs et l’intérieur restent identiques. La dédiabolisation voulue par la fille se cantonne à la vitrine du parti, dont le spectacle est offert aux médias. Quant à l’appareil, aux militants et aux cadres, ils restent foncièrement attachés à plusieurs arcs-boutants du national populisme. Le parti ayant finalement peu changé, les raisons de la progression du FN sont davantage à rechercher du côté d’une droitisation des sociétés européennes et d’une prise en compte, par le FN et sa nouvelle direction, des mutations sociétales des dernières décennies.

Le FN, comme l’extrême droite au sens large, a changé sur un plan générationnel voire sociologique. La période où se côtoyaient des anciens SS et des anciens de l’OAS convolant avec les nationalistes des années 1960 est révolue, comme en témoigne la transition générationnelle un peu rugueuse entre les Le Pen. Le Front national version « la fille » se renforce en s’épurant des éléments marginaux considérés comme néfastes lorsqu’ils tiennent des propos publiquement jugés inacceptables. Mais le FN continue à s’inspirer de certaines franges de la droite radicale, via, par exemple, les identitaires, ou lorsqu’il persiste à se nourrir des courants nationaux républicains issus des milieux souverainistes. Le Front national version « la petite fille », quant à lui, réinvestit ses thématiques « catho tradi ».

L’analyse des réseaux montre bien que les réseaux nationaux et internationaux demeurent intacts. Plus que le père, la fille entretient des liens singuliers avec chacun de ces groupes – comme une toile d’araignée dont elle serait le centre – pour éviter que certains d’entre eux gagnent en influence sur d’autres. Cette inspiration de la droite radicale repose sur les courants nationalistes radicaux, styles identitaires, sur les anciens du Groupe d’Union défense, ce groupuscule néo fascistes qui faisait régner « l’ordre par la rangers » dans le quartier latin, et sur les nouveaux convertis, autoproclamés nationaux républicains, arrivés au FN par une sorte d’opportunisme.

Le ciment du parti repose ainsi toujours sur l’hostilité à l’égard des populations africaines (nord et subsaharienne) qui, aujourd’hui, est déclinée sous plusieurs formes : défense de l’Occident chrétien et de sa critique du droit des femmes et des minorités sexuelles, aussi bien que défense du droit des femmes et des homosexuels, lorsque cette défense s’oppose à l’« autre » africain. Le paradoxe est significatif. Ce jeu se retrouve dans les relations internationales, où le FN exalte les pays à pouvoir fort : il défend les forces militaires du monde arabe alignées sur les positions russes ou post-soviétiques et se fait l’avocat d’une conception de « diagonale du pouvoir » qui a évolué, et qui reprend désormais la position du Président russe Vladimir Poutine. Certains oligarques liés au Kremlin ont d’ailleurs soin de soutenir en sous main le FN. Comme si, par un jeu étonnant et un retournement moins surprenant, le soutien soviétique au « parti frère » s’était vu substituer un soutien russe au Parti nationaliste.

Ces éléments font qu’en quelques années, le FN est passé d’un état de décomposition avancé à un parti en passe d’occuper des responsabilités importantes. Pour autant, le FN n’est toujours pas un parti de gouvernement, faute de cadres. Il demeure isolé par ses prises de position européennes, notamment parce que le plafond de verre et le mur qui entourait le FN ne sont pas encore brisés. De surcroît, il commence à être sérieusement attaqué par les coups conjoints de son ennemi complémentaire (selon la formule de Germaine Tillion), l’islamisme radical.


Les droites extrêmes en Europe place quant à lui le FN dans une dynamique nationale et internationale. Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg remettent l’histoire de l’extrême droite dans une perspective européenne. En effet, si la majeure partie des partis classés à droite des partis de gouvernement traditionnels sont issus du terreau de l’extrême droite des années 1930-1940, celle-ci a connu un profond renouvellement depuis une vingtaine d’année.  Les deux dernières formes de l’extrême droite se constituent autour d’une vision nationaliste et populiste, avec des accents qui peuvent retrouver parfois les modèles originaux, mais surtout, la dernière forme prise par cette droite extrême affiche une hostilité nouvelle aux maghrébins et aux populations du sud de l’Europe, dissimulée sous le prétexte du choc des civilisations et de la peur de l’islam. En fonction des pays, la crise a accéléré les processus de  progression de l’extrême droite qui se nourrit, tour à tour ou en même temps, d’europhobie, d’euroscepticisme et d’hostilité envers l’étranger. L’extrême droite a cependant en partie muté. Sauf dans certains groupes relativement marginaux, à l’exception de la Grèce et de la Hongrie, elle a remisé l’antisémitisme au second plan.

Les auteurs reviennent également sur les traits constitutifs des droites extrêmes en Europe. Le racialisme et le suprématisme blanc sont aujourd’hui majoritairement abandonnés, quoiqu’il figurent encore parmi les revendications de quelques militants tels que l’assassin Anders Breivik ou les néo-nazis de l’Aube dorée. De même, les thématiques chères à la Nouvelle droite – comme l’antiaméricanisme, le culturalisme, l’intellectualisme et l’élitisme voire le paganisme – sont confinées dans des micro-milieux – quelques militants autour d’association comme Synergies européennes, Terre et peuples. Ces positions rejetées aux marges de cette droite en sont même souvent exclues, car trop intellectuelles et trop complexes. Enfin, l’ultra-catholicisme est devenu secondaire pour les principaux cadres de l’extrême droite : il représente tout au mieux un attrape-tout pour certaines branches de la droite chrétienne, mais ne constitue plus le cœur de cible, ni même son identité première. Il reste un magma plus ou moins informe dont la colonne vertébrale s’avère être d’une souplesse extrême. L’extrême droite, à l’échelle européenne, repose sur des modèles de conquête du pouvoir et surtout des contre-modèles dont l’exemple italien, l’ex-MSI devenue l’Alliance nationale, fait figure d’épouvantail : ce que ne veulent plus être nombre de partis d’extrême-droite tels que le FN, c’est ce modèle de parti dans lequel la soif d’arriver au pouvoir est plus fort que l’idéologie politique, au point d’entraîner la dilution du Parti.

 

Au-delà du seul exemple français qui retient l’attention des électeurs en cette fin d’année, Les faux semblants du Front National et Les droites extrêmes en Europe offrent ainsi un panorama complet du nouveau spectre qui hante l’Europe : le national populisme