Le dernier volume des textes posthumes du philosophe paraît ces jours-ci, vingt ans après sa mort, recueillant notamment des écrits de jeunesse.

Lettres et autres textes et le troisième et dernier volume des textes posthumes de Gilles Deleuze, faisant suite à L’île déserte   et à Deux régimes de fous   , publié à l’occasion du vingtième anniversaire de la disparition du philosophe. Il regroupe environ quatre-vingt lettres adressées à ses contemporains (Michel Foucault, Pierre Klossowski, François Châtelet, Félix Guattari, Clément Rosset, pour les mieux connus), de taille inégale et d’intérêt très variable, parmi lesquelles les plus importantes sont sans doute celles adressées à Félix Guattari, qui offrent un témoignage précieux sur leur collaboration. Le volume recueille aussi des textes introuvables et, parfois, inconnus de Deleuze, tels quelques comptes rendus sur Bréhier, Lavelle, Le Senne, Alquié, etc., paru dans Les Cahiers du Sud ou les Etudes philosophiques entre 1950 et 1960.

Datant toujours des années 1950, un cours inédit sur Hume, d’une longueur appréciable (une cinquantaine de pages), que Deleuze avait envisagé de publier, est présenté ici pour la première fois, suivi d’un autre cours d’agrégation, toujours sur Hume, datant de la fin des années 1960, beaucoup plus bref (une dizaine de pages). L’on trouvera aussi un long entretien, initialement destiné aux Temps Modernes mais  jamais publié, sur L’Anti-Œdipe dirigé par Raymond Bellour datant de 1973, le texte de la conférence de 1978 sur le temps musical prononcée à l’Ircam à l’invitation de Pierre Boulez, la préface pour l’édition américaine de Francis Bacon, logique de la sensation, et enfin (et peut-être surtout), une série de textes de jeunesse de Deleuze écrits entre vingt et vingt-deux ans, que celui-ci a désavoués par la suite, dont il a déclaré ne pas désirer la republication, mais que l’éditeur du volume (David Lapoujade) a jugé opportun de rendre publics dans la mesure où ces textes circulent déjà un peu partout sous une forme le plus souvent fautive.

Disons-le : ce sont ces textes de jeunesse qui font tout le prix de cet ultime volume des textes posthumes de Deleuze. La correspondance est en effet souvent décevante – les lettres étant soit trop courtes, soit trop allusives, comme si Deleuze hésitait à développer une réflexion dans le cadre d’un échange épistolaire. Les comptes rendus témoignent d’une vive intelligence, mais ne portent guère la marque de la pensée de Deleuze. Les cours offrent à lire les notes sur lesquelles un grand professeur s’est appuyé dans son enseignement, mais elles laissent surtout aux lecteurs, qui ne savent que faire de ces pages, le regret de n’avoir pas pu assister aux cours. Les textes sur Bacon ou Sacher-Masoch, et l’entretien sur L’Anti-Œdipe n’énoncent rien qui ne soit déjà connu des lecteurs de Deleuze. La nouveauté et la surprise viennent seuls des textes de jeunesse.

En une langue méconnaissable, sans aucun rapport avec le style qui sera celui du Deleuze de la maturité, le jeune philosophe de vingt ans se penche sur des questions qu’il n’abordera plus guère, en tout cas de cette manière, telles que le corps sexué de la femme (Description de la femme, texte de 1945), la religion et la bourgeoisie (Du Christ à la bourgeoisie, texte datant de 1946), la pédérastie et l’onanisme (Dires et Profils, texte datant de 1946), la science et la philosophie (Mathèse, science et philosophie, texte datant de 1946) – à quoi s’ajoute une introduction à La Religieuse de Diderot (de 1947). Textes stupéfiants par la force de la réflexion qui s’y exprime, dont on a peine à croire qu’elle est celle d’un tout jeune homme, élève en classes préparatoires, et dont à peine à croire aussi qu’ils sont signés de la plume de Deleuze tant ils lui ressemblent peu, sous le double rapport du style et de leur thématique. Si l’éditeur a eu parfaitement raison de les publier, dans la mesure où ils donnent à lire les prémices de la réflexion d’un philosophe important de la seconde moitié du XXe siècle, il faut avouer aussi que nous comprenons les raisons pour lesquelles Deleuze n’a pas souhaité que soient republiés des textes qui lui sont devenus complètement étrangers