Un pamphlet collectif et anonyme contre le salafisme et la politique de l'Islam en France, qui se veut compréhensif mais glisse dans l'amalgame.  

L’islam au feu rouge est signé par Camille Desmoulins, un pseudonyme. Le choix du pseudo n’est toutefois pas arbitraire. Camille Desmoulins est engagé dans  la Révolution Française. Il publiera deux pamphlets : La France libre qui attaque surtout les corps constitués de la monarchie, la noblesse et le clergé, et conclut à l'établissement d'un gouvernement «populaire ». Le second, intitulé Le discours de la Lanterne aux Parisiens traite de nombreux sujets : l'égalité entre tous les membres du corps social, la justice que l'on doit au peuple si l'on veut éviter qu'il se la fasse lui-même, la liberté de la presse et la religion. Il fait paraître à partir de décembre 1793 son dernier journal : Le Vieux Cordelier, qui n'aura que sept numéros (le dernier sera posthume). Il s'oppose à la Terreur et réclame la liberté complète de la presse. Il se fait ainsi le porte-parole des Indulgents (Danton et ses proches) et attaque le Comité de salut public, dont une des têtes est Robespierre. Il sera guillotiné avec Danton le 5 avril 1794.

Choisir un tel pseudo, c’est a priori ranimer l’esprit des Lumières. C’est aussi rejoindre l’esprit révolutionnaire et polémique du pamphlet. C’est enfin tenir un discours politique. Comme l’auteur l’annonce au début, la présence dans un fauteuil roulant de Dalil Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, le 11 janvier 2015, est symbolique au moins à deux titres : il est le symbole de l’Islam modéré en France, mais surtout il est la représentation de la parole mutilée de la religion musulmane. Il évoque à ce propos la nécessité d’introduire un Impératif politique dans l’Etat français : refuser qu’aucun groupe quel qu’il soit ne puisse montrer publiquement – et donc ré-publicainement – sa vision du monde. Faut-il en déduire que celui qui s’exprime ici est interdit de parole publique ?  Il est en effet indispensable que ce soient les idées qui s’affrontent plutôt que les hommes. Sans une telle décision, parler de déradicalisation n’a  guère de sens rajoute l’auteur. Toutefois, la suite du livre attaquera avec une telle virulence le recteur, que d’une certaine façon cela annulera ce qui est écrit ici à son propos. Ecrire de façon anonyme suppose aussi une prise de risque et véhicule l’idée que nous ne sommes pas dans un pays libre. C’est d’ailleurs pour « la France libre » que se battit Camille Desmoulins…qui fut guillotiné sur ordre de Robespierre, figure de la Terreur et du communisme dans certains discours. Dès lors le titre s’éclaire : feu rouge c’est l’arrêt mais c’est aussi le brasier communiste. Aurait-on sous les yeux un pamphlet anticommuniste ?

Le présupposé de ce texte est la montée en puissance des salafistes et leur contestation de la nation française. Qui sont les salafistes ? « Le salafisme apparaît au milieu des années 1960 comme extension du wahhabisme saoudien sous forme de cellules autonomes sans structure, ni hiérarchie, dans les mosquées, à partir des discussions sur les pratiques et la pureté religieuses, la tenue vestimentaire ou encore les questions de morale. Les Salafistes cherchent avant tout l’établissement du gouvernement de Dieu (hukm Allah ) sur terre, en faisant usage des outils légaux et constitutionnels, pour proscrire la vente d’alcool, la mixité dans les cafétérias universitaires, les voyages mixtes à l’étranger, les danses publiques de femmes à l’occasion des fêtes nationales, l’octroi de la nationalité aux non-musulmans, la pénalisation de ceux qui critiquent Dieu, les prophètes et les compagnons. »  

Cependant ce n’est pas un groupe monolithique. « La présence du salafisme en France est identifiée depuis les années 1990. Selon des sources policières, la France compterait 90 lieux de culte d’obédience salafiste sur 2 500 recensés en 2015, soit deux fois plus qu'en 2010 et environ cinq fois plus qu'en 2005. D'après la Direction Générale de la Sécurité Intérieure   , le nombre de fidèles affiliés au courant a quant lui triplé entre 2010 et 2015, passant de 5 000 à 15 000. Cette progression a lieu essentiellement dans les grands centres urbains (région parisienne, Rhône-Alpes et Provence Alpes Côte d’Azur). Pour les spécialistes de l'islam, cette progression s'explique par la perte d'influence de l’Union des organisations islamistes de France, branche française des Frères Musulmans. Si les salafistes français sont dans leur grande majorité des quiétistes qui dénoncent le djihad armé, le chercheur Haoues Seniguer estime que « le néosalafisme d'aujourd'hui peut être un sas » vers le djihadisme. D’après Mediapart, le salafisme français « est le fait de petits groupes informels ne cherchant pas à se fédérer à l'échelon national. Aucun de ses représentants ne siège dans l'Instance de dialogue avec l'islam, lancée par Manuel Valls le 15 juin 2015 pour réfléchir à la formation des imams et au financement des mosquées »((https://fr.wikipedia.org/wiki/Salafisme)).

En parlant de façon générale des salafistes, l’auteur du pamphlet procède à un dangereux amalgame. D’autant plus que l’islam présente d’autres courants ne se limitant pas à une seule conception de l’Islam. C’est entre autre la lecture du droit coranique qui les distingue. La généralisation a souvent des buts manipulatoires.

Plus on avance dans la lecture de l’ouvrage, plus le ton se fait agressif. A propos de Boubakeur, il parle de « son pouvoir de nuisance »((p.34)). Parlant des croyants musulmans il parle de « piétaille »   . Cet ouvrage pratique aussi la rhétorique du « glissement ». Ainsi, parlant des lieux de culte, et précisant au départ, qu’il ne faut pas les confondre avec les mosquées, il opère un tel va et vient entre les notions qu’on finit par ne retenir que le mot « mosquée ». Or il y a peu de mosquées en France. Le lieu de culte n’est pas une mosquée, et de fait il y en a peu  

Incohérence des choix politiques en France

Le livre insiste sur les erreurs politiques qui dateraient de 1981, ainsi que de la corruption de Boubakeur, c’est-à-dire des responsables du culte musulman. De même les « banlieues » auraient également aggravé la situation en pratiquant une politique sociale prenant pour modèle les Black Muslims. L’auteur n’hésite pas à parler des « banlieues de l’Islam »   . Drôle de généralisation. Toute généralisation n’est-elle pas porteuse de préjugés ? De quelles banlieues parle-t-il ? Ce qui ressort des décisions de l’Etat français  est une politique bienveillante de bricolage.  Or la morale ne relève nullement du politique et le bricolage n’est que réparation provisoire et empirique.

Amalgames. Les limites du pamphlet ou les risques de l’entretien des préjugés.

Pour l’auteur, islam aurait pour signification la soumission. Certes c’est le titre du roman de Houellebecq, Soumission. Mais à y regarder de plus près et en fondant ses propos cela donne un tout autre sens :

« Le simple recours aux traductions de vulgarisation non savantes, induit lourdement en erreur fut-ce pour une première approche superficielle. Notons que cette remarque est aussi valable pour d’autres approches et pour d’autres conceptions philosophiques. C’est dans cette optique que nous allons tenter de rendre au terme Islâm le ou les sens qu’il déploie pour exprimer une conception et une attitude à la fois. »

Le mot Islam, Al-islâm en arabe, a comme racine le verbe salima qui signifie au sens premier, non altéré, préservé en l’état premier, sain. D’où Al-salâm[1] l’expression de la non-hostilité et de la paix « lorsqu’ils sont interloqués par les ignorants, ils disent salâmâ[2] ». Al-islâm donc détermine un état de paix et l’expression de non-hostilité envers autrui. Ainsi, Le verbe aslama qui exprime l’action de celui qui rentre en Islam exprime d’abord un état d’être, celui d’être entier, en paix avec soi-même. Ensuite celui dont les personnes ne redoutent ni son hostilité verbale ni physique[3]. Et principalement, celui qui, retrouvant la voix de sa nature première[4]fait acte volontaire d’adhésion à la voie qui mène vers Al-salâm, Allah le Sain.

L’idée de soumission pour désigner l’Islam est l’expression d’une variante retenue par certains commentateurs et qui reflète plus l’idéologie dominante de leur époque que le sens étymologique du terme ou l’usage conceptuel coranique et prophétique.

Il convient ici de rappeler que dans le Coran aussi bien que dans les traditions du Prophète, les trois termes Islâm, Imân et Ihsân désignent tous les trois la voie de l’Islam. Le mot Al-islâma été retenu comme générique, car il se rapporte à la base commune. Al-imân étant un degré avancé dans l’approfondissement spirituel et moral, alors qu’Al-ihsân représente une étape supérieure au niveau métaphysique.

Respectivement, Imân et Ihsân signifient avoir confiance en ou faire acte de foi et parfaire ou agir avec excellence. La soumission ne peut être retenue pour qualifier le terme Islam, car elle n’embrasse pas ses trois dimensions »   Saïd Moustarhim   .

Retour à Napoléon : pour un Sanhédrin musulman

En 1806 et 1807, du fait de la contestation de la présence juive sur le territoire français et de l’antisémitisme ambiant, Napoléon mit en place un questionnaire à l’attention des notables juifs et des Rabbins. L’objectif était de démonter les préjugés et de montrer la volonté des juifs de s’intégrer à la nation française. Il faut faire de même avec les musulmans rajoute l’auteur du pamphlet. Déjà en 2007 on pouvait lire sous la plume de François-Georges Dreyfus    :

L’« Islam de France » me fait penser aussi au judaïsme de France. Il faut remonter à Napoléon 1er pour le comprendre. L’empereur a convoqué un Grand Sanhédrin pour poser toutes sortes de questions aux juifs, notamment sur la polygamie, encore autorisée à cette époque dans la communauté juive. Il aboutit ainsi au décret de mars 1808, c’est-à-dire à une francisation des mœurs juives – décret qui était lui-même une suite à celui de la Convention du 20 septembre 1798 sur l’émancipation des juifs, le même jour que la Proclamation de la République.

Donc l’« Islam de France » pourrait être un Islam modernisé à la manière d’Atatürk, facteur non seulement d’intégration économique et social, mais aussi d’assimilation. Les vieilles familles juives askénases ont ainsi été assimilées. Alors que les Sépharades commencent seulement à s’assimiler… »   .

François Georges Dreyfus était proche de Radio Courtoisie et appartenait au Cercle Renaissance, fondé par Michel de Rostolan dont l’engagement politique débute avec son militantisme au mouvement d’extrême droiteOccident, dissous en 19683. Michel de Rostolan fonde en 1970 le cercle Renaissance, qui se donnait pour objectif principal d’apporter une réponse culturelle à mai 68.

Il y a enfin ce troublant questionnaire à la fin du livre. Sous prétexte de présenter le Sanhédrin, l’auteur présente le questionnaire fait à l’attention des juifs. N’est-ce pas indirectement faire réapparaître les préjugés et l’antisémitisme ? Pourquoi sortir du sujet ? Pourquoi un tel glissement ?

Qui est Camille Desmoulins ? Au lecteur d’en juger.



Aller plus loin :

Les Cahiers de l’Islam : Glossaire
 
Notre Dossier « Pour en finir avec les préjugés sur l’Islam