Il y a une vie de l’art. Une vie, où quiconque s’attache à imiter la nature est condamné à être semblable à ce ver qui gonfle de vouloir ressembler à un éléphant, et finit par se dissoudre dans le néant. C’est ainsi qu’on peut comprendre le travail des deux peintres Henri Darasse et Amédée Poujol qui exposent au Jardin Antique Méditerranéen .
Ils disparaissent derrière le travail de la matière, trouvant le moment, l’occasion où la forme sortira la matière de ses tâtonnements hasardeux. Ils refusent le rapport immédiat à la sensibilité égarée dans le travail de l’œuvre en train de se faire.
L’abstraction ici c’est le détachement de cette impression sensible. Elle est « abstraite », retirée. Il n’y a nulle correspondance, pour citer Baudelaire, entre la nature et l’homme, qui serait le peintre ou le poète. Il n’y a d’ailleurs nulle correspondance entre la nature et l’œuvre de l’artiste.
Il y a bien de la poiésis, mais au sens grec, celui du « faire ».
La nature ne se laisse pas identifier chez Amédée Poujol. Il y a un jeu, au sens d’espace, qui ne cesse d’entretenir le doute. Cet espace forme aussi la vision du spectateur qui reçoit l’œuvre dans son énigme… liberté de l’artiste qui ne reproduit pas les effets naturels de l’eau mais qui les transpose, pour s’en éloigner, liberté du spectateur qui ne peut trancher entre de multiples interprétations. Est-ce vraiment une vague ?
Le travail d’Amédée est à cette limite. Son œuvre parle comme Echo qui ne peut tout dire, condamnée à répéter les dernières paroles entendues. On ne sait pas ce qu’elle veut dire par cette parole qu’elle prononce tout en restant si éloignée d’elle.
Je pense à une partition musicale. L’harmonie ou la non-harmonie, ne sont que le résultat d’une composition détachée de la nature. Messiaen voit des couleurs derrière la musique, mais cette transposition n’est pas justement concordance. Le monde de l’art n’est pas celui de la sensibilité.
Henri Darasse peint avec des rouleaux. Loin de la nature qui n’est ni maître d’œuvre, ni source. Son monde, il le crée en animant le rouleau, le mouvement étant nulle part ailleurs que dans ce geste. Produire un geste n’est ni gesticulation, ni répétition mécanique, ni pantomime.
Il s’attache ici au jardin, œuvre de la culture, havre du faire et non du récit. Sa peinture ne raconte rien, refusant ainsi la définition de l’art comme fenêtre ouverte sur le monde de la Renaissance italienne. Il est rupture, comme le jardin est rupture avec la nature. Il en restitue des parcelles, à la façon des bribes archéologiques, jouant ainsi sur l’inachèvement, en en appelant à l’imaginaire créatif du spectateur. Nulle trace de la nature. Juste des traces de l’œuvre du passé de l’homme. Il interroge le temps de l’oubli, de l’histoire.
Les deux artistes exposent ensemble avec le même refus de faire de l’art une ressemblance à…ou une concordance à…
Refus de l’attitude romantique, refus de la poésie qui recouvre au lieu de dévoiler l’œuvre en train de se faire.
L’œuvre est jardin, main du jardinier qui sans cesse ensemence la terre, répétition de l’autre à venir dans sa différence