Dans ce second volume d’Histoire de ma vie de Casanova, nous suivons le héros à travers ses frasques de 1757 à 1763 : du libertin plein de verve à l’écrivain nostalgique et philosophe. C’est cette période précisément qui construit l’icône hypermoderne que nous reconnaissons encore aujourd’hui. Le casanovisme est né et s’explique à travers ces pages magistralement commentées.

Les tomes IV à VII d’Histoire de ma vie

Ce deuxième volume d’Histoire de ma vie de Casanova nous plonge dans les années 1757-1763 qui, affirme Marie-Françoise Luna, achèvent de transformer le chevalier de Seignalt – titre qu’il revendique à partir de 1760 –, en ce fameux Casanova que la postérité reconnaît comme l’un des plus galants hommes du XVIIIe siècle. Ces années sont marquées alors par les fastes d’une vie trépidante. Protégé par les « Grands » noms européens, proche de la franc-maçonnerie, il voyage beaucoup et vit dans l’opulence, grâce, notamment, à l’influent abbé de Bernis devenu ministre et grâce à la marquise d’Urfé. Arrivé à Paris, il se crée un nom de toute pièce en devenant l’homme des « sciences abstraites » qui l’amusent et lui fournissent, « en escroqueries diverses », la principale source de ses revenus particulièrement auprès de la marquise qui se rêve en homme par « régénération ». Ces années sont aussi celles des plaisirs divers, mais aussi celles des ennuis avec la police et des renversements de fortunes personnels. De voyages en fuite(s), Casanova parcourt donc toute l’Europe dans des va-et-vient incessants, se croyant tantôt important et influent, se sentant parfois persona non grata, traqué et rejeté. De fastes en déconvenues, il s’éloigne des champs de bataille et rejoint l’Italie où il rêve d’une vie plus rangée. Mais les intrigues et les allées et venues reprennent le dessus, particulièrement au sujet de la « régénération » de la marquise d’Urfé qui l’accapare et l’entraîne dans de longues aventures. L’idée de se fixer, dit-il à Lucrezia, l’horrifie. Et c’est dans ces péripéties que se dessine de plus en en plus la figure de Casanova. Avec Manon Balletti, il tente d’imaginer le mariage et la vie de couple, dans l’euphorie du moment, porté aussi par un certain opportunisme mais, bien vite, les plaisirs de la vie libre le rattrapent, et il s’échappe de ces pensées de fixité. Au théâtre, ou battant les grandes allées citadines, il est accompagné de jolies comédiennes ou de beaux garçons qui ne lui sont pas, à l’occasion, indifférents. « Il commence alors, écrit la critique, à se déclarer ‟libertinˮ et se compose des maximes de stratégie amoureuse, dont il fait profiter le lecteur. » Et ses performances auprès de la gente féminine, qu’il aime à décrire dans ses mémoires, « feront bientôt de Casanova, pour la postérité, le mythe de séducteur légendaire et d’amant incomparable que l’on connaît ».


Les tomes VIII à X d’Histoire de ma vie

La guerre de Sept Ans (1756-1763) étant finie et la « régénération » de la marquise d’Urfé sur le point de mal se terminer, Casanova quitte la France pour se réfugier à Londres en 1763. Mais versé dans les affaires louches et malhonnêtes, il se voit chasser un an après son arrivée sur le territoire londonien. Malade, rejeté par la marquise, indésirable à Paris, il entreprend de visiter l’Europe particulièrement les pays « neufs », « dont les souverains faisaient beaucoup parler d’eux ». La Prusse, la Russie, la Pologne, l’Espagne, il les visite avec curiosité et entrain, mais ces pays « se sont révélés des mirages ». De retour de ces périples, il publie une grande Histoire des troubles de la Pologne, dont il avait sur place étudié les prémices. Mais à 47 ans, « âge méprisé par la fortune », fort d’un dernier rêve, celui de repartir pour Constantinople qui échoue, il se rapproche de Venise où il « travaille à rentrer en grâce auprès des inquisiteurs d’État ». Endetté, il doit se dépouiller de ses bijoux et revoir son train de vie. De joie en déconvenues, le libertin vogue entre deux eaux : tantôt auréolé de succès auliques, tantôt méprisé et rejeté, accablé de malchance, il voit s’ouvrir devant lui une période de « guignon » dans laquelle il écrit beaucoup contre ses ennemis. Et le séducteur séduit encore (un peu), mais il lui faut aussi compter les mauvaises rencontres qui signent la « fin de son bel âge » : « Tel m’a rendu, écrit-il, l’Amour à Londres Nel mezzo del cammin di nostra vita. » Il se rabat donc sur de jeunes filles, voire sur les petites filles. « Sous couvert de tendresse paternelle, écrivent les éditeurs, il joue de l’idée d’inceste, se complaît à dévoiler, caresser, s’approprier délicatement ces jeunes corps vierges. »

Le temps a passé… la vieillesse s’est installée et les hasards lui font retrouver de vieilles connaissances, parfois on lui présente un enfant qu’il regarde avec tendresse et émotion. C’est le temps où « les faits, la vie amoureuse, les succès, laissent plus de place […] à la vie de l’esprit ». Casanova se reconstruit autour de ces images tendres, au prisme des amitiés intellectuelles plurielles. La lecture et l’écriture deviennent ses activités favorites, enfermé dans l’une ou l’autre des bibliothèques de Varsovie, de Rome ou de Bologne. Moins conteurs, il se fait journaliste politique, voire moraliste, parfois même juge philosophe, dont le regard se pose sur l’amour, la beauté… Tout semble désormais l’intéresser et, dans le dernier tome de son histoire, « le narrateur intervient de plus en plus souvent au cours de son récit ». Mais c’est aussi sur sa vie qu’il dresse un bilan sans appel, des plus noir… « L’âge a pour Casanova ceci d’insupportable qu’il le dépossède de sa véritable nature. » Le lecteur se sentira plus proche de ce vieux héros galant, de ce libertin philosophe, car il offre de lui, dans les derniers chapitres de ses mémoires, une histoire sans doute plus « sincère, plus attachante ».

En 1774, malgré des allusions certaines à une suite, Histoire de ma vie s’interrompt, « juste avant le récit du ‟plus beau momentˮ de sa vie, son triomphal retour à Venise ».

Et après, alors ? La fin d’Histoire de ma vie peut frustrer le lecteur, mais les éditeurs précisent qu’« objectivement, la vie de Casanova ne présente plus les caractères qui avaient fait naître son désir de la revivre et de la partager par l’écriture ». D’ailleurs, lui-même, à 49 ans, dans son Précis de ma vie, « il ne retient de ces années que la brouille qui l’a conduit à un nouvel exil ». À ses lecteurs assidus, il adresse un dernier souhait : de rire de ses « folies de jeunesse » car, lui, il veut s’en souvenir comme d’une commedia dell’arte, comme d’un temps de jouissance, d’aventures et d’audace.


Casanova, Histoire de ma vie
Édition établie sous la direction de Gérard Lahouati, Marie-Françoise Luna, avec la collaboration de Furio Luccichenti et Helmut Watzlawick
Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »
Tome II, 1360 pages, 57,50 euros