Sous la plume cinglante d'Angelica Liddell, un fait de société devenu fait divers remonte à la surface. Une belle énergie, malgré quelques faux pas.

 

Un beau combat

Deux hommes à peine vêtus se tiennent face à nous. Il s'agit d'une adresse frontale à l'hypocrisie politique, désignée sous le vocable provocant de « Monsieur la pute ». Que sont pour nous les naufragés clandestins qui viennent s'échouer sur les plages occidentales ? Comment noyer une seconde fois ces grappes humaines accrochées à leur barque, quelque part entre le Maroc et l'Espagne, sous nos discours sentimentalistes et compatissants ? Les questions fusent. Le ton est cruel, sarcastique, et la peur omniprésente : doit-on craindre des représailles de la part de ces hommes jetés en pâture aux poissons ?

Angelica Liddell nous saisit une fois de plus grâce à son écriture fracassante et impitoyable. L'âpreté de la langue est son arme favorite, et ce texte ne fait pas exception. Dans Et les Poissons partirent combattre les Hommes, l'auteur attaque le politique sur son propre terrain, celui de la maîtrise du langage. C'est ici le motif de la répétition qui transcende l'intégralité de la pièce : les mêmes mots reviennent inlassablement, à l'image du ressac qui fait s'échouer les corps aux pieds des transats. Le scandale devient fait divers lorsqu'il est trop fréquent.

Si la mise en scène est parfois hasardeuse, allant jusqu'à provoquer un certain malaise chez le spectateur, on ne peut que souligner un véritable effort dans la direction des comédiens. Il y a un vrai sens du rythme, malheureusement terni par un décor très bricolé, qui nous donne le sentiment d'assister à un spectacle de fin d'année. On eût préféré un décor plus minimaliste, débarrassé de cette toile de plastique dans laquelle les deux interprètes s'enroulent. Cette vague ressemblance avec l'écume est beaucoup moins évocatrice que l'accompagnement musical qui rythme la représentation, malheureusement relégué dans un coin de la scène.

Le dynamisme d'Adrien Mauduit et d'Arnaud Agnel est, au-delà du texte, le véritable point fort de ce spectacle. Étonnants de justesse dans leur rôle de « petits blancs » à la solde du pouvoir, ils parviennent à nous faire croire à la possibilité d'une vengeance.

 
A.D.

 

Et les Poissons partirent combattre les Hommes, d'Angelica Liddell

Traduction de Christilla Vasserot

Mise en scène d'Anne-Frédérique Bourget

Avec Adrien Mauduit et Arnaud Agnel

Création sonore d'Alexis Sebileau

Création lumière de Véronique Perruchon

Tous les soirs jusqu'au 26 juillet 2015 (sauf le jeudi) à 18h25 au Théâtre de l'Alizé, 15 Rue du 58ème Régiment d'Infanterie, Avignon