Un recueil d'approches variées sur la construction de l’identité et le rapport à l’Autre dans le continent africain.

Réalisé sous la direction de Gilbert Zouyané, chef du département de français à l’université de Ngaoundéré au Cameroun, l’ouvrage « Identité, Altérité et Représentations », fournit par la diversité de ses auteurs et de leurs approches une analyse hétéroclite et diversifiée de la construction de l’identité et de l’altérite en Afrique. Le contexte actuel d’une société globale, marquée par la prégnance des diversités et la mixité, met la question de l’identité et de l’altérité au centre d’une réflexion sur la coexistence des populations d’origines différentes.

Basé sur le principe que l’identité d’un individu ou d’un groupe n’est pas figée mais est plutôt une réalité dynamique et le fruit d’un processus de construction continu par la relation aux autres, l’objet proprement dit de l’ouvrage est d’établir un débat sur l’importance de l’identité par rapport à la négation des autres et à la violence des relations.

Les auteurs qui ont contribué à la rédaction de ce livre considèrent que l’altérité, perçue comme témoignage de compréhension de la particularité de chacun, est consubstantielle à l’identité. S’il est vrai que l’identité pour autrui est une construction de l’image spécifique qu’on veut renvoyer aux autres, on doit convenir que l’altérité, entendue comme reconnaissance de l’Autre dans sa différence, est l’autre face de cette même réalité. C’est en s’appuyant sur l’altérité qu’on peut comprendre et interpréter la coexistence des identités différenciées dans un espace social précis.

La préoccupation du présent volume, comme nous le signale Gilbert Zouyané, est de produire une réflexion sur les enjeux de l’affirmation des identités dans un monde à la fois globalisé et fragmenté, où l’impérialisme culturel résiste à la fécondation mutuelle des civilisations et des peuples. Les questions suivantes se posent : comment apprécier l’expression des formes identitaires communautaires (culture, nation, race, ethnie, etc.) où les sentiments d’appartenance sont particulièrement forts ? Les identités collectives peuvent-elles librement se manifester sans faire un préjudice à l’altérité, dans une saine cohabitation des diversités ? Quelles sont les représentations que construit l’imaginaire pour traduire les spécificités des différences ? Ce sont autant de problématiques qui ont sous-tendu l’ensemble des réflexions développées dans cet ouvrage.

La structure de l’ouvrage est d’ailleurs organisée autour de deux parties. Au total une dizaine de contributions au croisement des disciplines des sciences sociales, de la linguistique et de la littérature esquissent des réflexions sur la question de l’identité et de l’altérité, toujours actuelle. Dans une approche éclectique faite d’analyses conceptuelles et d’études des situations sociales sur la base d’observations empiriques, les textes regroupés dans la première partie du livre intitulée « Au contact de l’altérité et des diversités : l’identité en question » décrivent les contours de cette thématique en y apportant des réponses efficientes.

L’identité en question

C’est Armand Leka Essomba qui signe le premier article. A partir d’une perspective à la fois de sociologie historique et de sociologie (politique) des identités, il s’interroge sur les représentations et les usages que les Africains font aujourd’hui de la traite pour se parler à eux-mêmes, se définir, définir les Autres et produire des utopies ou des fantasmes. Dans son article, l’auteur met en évidence les controverses qui existent dans l’interprétation de la mémoire africaine de l’esclavage, et se penche surtout sur l’activation de la mémoire en lieux du « dehors » et du « dedans », pour conclure que pour l’instant cette mémoire demeure au stade de l’esquisse.

À sa suite, Alawadi Zealao développe une réflexion sur les minorités au Cameroun et les marginalités et les inhibitions que celles-ci subissent, dans une république qu’il caractérise « multiethnique ». Au travers des éléments juridiques, sociologiques et politiques, son analyse insiste, de façon claire et précise, sur le besoin d’intégration réelle des minorités camerounaises dans la société nationale. Dans une problématique assez proche, André Tassou, propose avec son travail d’analyse des sources orales et écrites, de lever un pan de voile sur la façon dont les immigrants tchadiens, nigérians et centrafricains parviennent à déconstruire leurs identités culturelles, à les reconstruire, puis à les mettre en interaction avec celles de leurs hôtes. Il en conclut que la construction d’un « entre-deux identitaire » observée dans les villes du Nord-Cameroun, démontre que les enjeux de l’interculturalité dans cette partie du monde restent autant constructifs que destructifs. 

L’étude de Valery Loba sur les brassages observés au travers des modèles nuptiaux a été motivée par la complexité de l’urbanisation d’Abidjan. En utilisant une méthode observationnelle analytique transversale   menée durant 2 mois et en analysant un échantillon varié, il parvient à établir que le niveau de l’instruction et la qualité professionnelle offrent de nouvelles perspectives de socialisation, qui influencent la structure ethnique de la population de Côte d’Ivoire.

Pour sa part, la pensée de Pierre François Edongo a pour objectif de souligner l’importance de la communication et des interactions sociales dans les rites béti au Cameroun. S’appuyant sur des recherches anthropologiques, l’auteur insiste sur le processus de la communication interpersonnelle au travers de l’analyse du rite ékamba. Son analyse, étant réduite à un seul site de recherche, reste restreinte.

L’altérité dans la littérature

Sur un tout autre plan, la deuxième partie regroupe des études globalement centrées sur les textes littéraires.

Dans une visée comparatiste des romans La Randonnée de Samba Diouf et Le Nègre Potemkine, Gilbert Zouyané analyse l’image du tirailleur sénégalais comme expression d’une altérité foncière empreinte d’ethnocentrisme et de la représentation de la « force noire », aurait permis l’acceptation de l’indigène en période coloniale. L’approche fait dialoguer le discours des deux romanciers sur la construction de l’image de ces personnages emblématiques que furent les tirailleurs, pour en conclure à leur complexité, qui aurait évolué suivant les chemins sinueux des discours et des idéologies.

 L’étude de Bana Barka quant à elle s’interroge sur la représentation des Wadjo (camerounais du Nord) dans la littérature méridionale. L’auteur de l’article nous offre, au travers des textes de fiction d’écrivains francophones et anglophones du Cameroun, une approche détaillée de l’histoire et des mouvements géographiques des Wadjo, ainsi que sur façon dont ceux-ci ont été perçus et traités par les populations indigènes du sud.

Plus loin, dans une perspective sémiotique, le texte de Clément Dili Palaï s’intéresse à la symbolique de la mort dans l’épopée de Soundjata. Avec une configuration axiologique et idéologique de la mort, l’auteur envisage une typologie plus générale, capable de maintenir éveillée la tradition orale africaine.

Le travail de Marceline Dama Teyabé vise à examiner les relations intersubjectives créées par les interactions verbales. L’intérêt d’une telle analyse réside dans le fait qu’elle met l’accent sur les différents types de relations entretenues par des couches sociales n’ayant pas toujours la même conception de la vie. En examinant les discours des personnages du Bourbier, l’auteur fait donc ressortir de façon ingénieuse les types d’influences qui en découlent. Sous le même prisme sociolinguistique, Théophile Calaïna démontre au travers de l’hégémonie du fulfulde (langue du groupe ethnique peul) son rôle prépondérant pas seulement comme outil de communication, mais aussi comme catalyseur d’influence et de domination.

La variété des approches utilisées par les auteurs du présent volume offre au lecteur un panel diversifié afin de comprendre la construction de l’identité et les rapports de celle-ci avec l’altérité dans le continent africain. Comme il s’agit d’un ouvrage collectif, qui invite à la compréhension des relations interculturelles, on n’y trouve pas une argumentation nuancée. En revanche, les auteurs exposent leurs recherches de manière claire, avec statistiques et témoignages à l’appui. Leur approche est cohérente et bien construite et elle fait avancer la réflexion sur les questions de l’identité et des représentations de l’altérité