À cette question qui suit la philosophie comme son ombre, une ombre effrayante et qui ne disparaît jamais, fidèle à son poste depuis des décennies, il me prend l’envie de donner quelques repères au milieu de tous ces cris que l’on peut lire. D’abord cette question était celle du plus grand ennemi de la philosophie, Calliclès, qui menaça un jour, Socrate, du fouet, pour s’entêter encore à son âge de philosopher. Rappelez-vous, ou découvrez-le, c’est un personnage sans foi, sans loi autre que celle de la jungle et de la compétition, sans valeurs morales, un homme qui rassemble en lui tout ce qui peut produire l’inhumain. Il apparaît dans le Gorgias de Platon. Comme Gorgias est incapable de faire entendre raison de ses convictions infondées – c’est bien pour cela qu’il finit par arrêter de dialoguer – certains viennent lui prêter main-forte, dont le fameux Calliclès. Mais ce dernier ne dialogue pas. Il parle tout seul. Il ne cherche pas la vérité philosophique, ni d’autres formes de vérité ou les tâtonnements de l’incertitude. Il cherche le pouvoir. Sa vérité c’est d’être l’homme de l’efficacité, du profit, du rendement. S’il n’y a pas de vérité absolue en politique, il y a néanmoins une vérité du politique qui émerge du discours de Calliclès : se servir par tous les moyens de ce qui sera utile au pouvoir de l’argent. Philosopher, dira Calliclès, c’est perdre son temps, et perdre du temps c’est perdre de l’argent dira quelques siècles plus tard Franklin.
L’urgence, la comptabilité des heures, des minutes, c’est vrai que cela n’a rien à voir avec le temps long de la réflexion qui s’inscrit dans la durée. Rien à voir avec le temps long de l’œuvre d’art qui elle aussi donne à résonner en nous une autre urgence : celle de comprendre ce monde que nous habitons. Notre première habitation n’est-ce pas nous-mêmes ? L’art, la philosophie, sont l’un et l’autre dans un rapport à soi qui n’est pas fuite dans ce qui nous détourne du seul sujet digne de l’homme : lui-même.
La gloire, la folie des honneurs, le refus de sortir de ses certitudes les plus meurtrières, le goût du pouvoir les renforcera. Pourquoi ?
Je vous laisse la main. Après tout, c’est le bac de philo aujourd’hui…