Ce numéro 25 de La Clinique Lacanienne présente différentes manières d'appréhender le thème qu'il traite : les folies du désir, à travers les articles de plusieurs analystes, conformément au style des revues.

L'illustration attenante est une photo d’Emmanuel Valette, extraite du film de Catherine Corringer : QueenS, en référence à l'article de Pierre-Henri Castel : Smooth/QueenS, qui figure à la rubrique Films de ce numéro 25 de La Clinique Lacanienne.

 


Cette critique est accompagnée d'un disclaimer, en bas de page. Les lecteurs sont invités à en prendre connaissance pour comprendre les conditions dans lesquelles elle a été réalisée. 

 

Nous vous proposons ci-dessous le résumé de quelques-uns des articles de ce numéro 25 de La Clinique Lacanienne consacré aux folies du désir. Malgré quelques errances, l'ensemble de ces articles forment un tout assez cohérent pour finalement traiter cette épineuse question d'une manière originale et subjective.

Dans un article intitulé Désir et résistance, Georgy Katzarov entend réhabiliter la résistance, celle-ci témoignant de ce que l'analysant refuse toute suggestion, pour maintenir son désir. Pour Katzarov, la psychanalyse demeure la seule approche qui comprenne la résistance en ces termes, au contraire des approches scientifiques qui exploitent la suggestibilité des « malades » au détriment des sujets et de leur désir dont l'émergence demande de se situer bien au-delà de la demande de guérison.

Silvia Lippi, dans De l'hallucination à la fiction, pose quant à elle la difficile question du désir dans la psychose. Il me semble que les approches lacaniennes ont parfois conduit à l'idée selon laquelle le désir ne peut se constituer dans la psychose. C'est pourquoi il peut être rassérénant de lire, sous la pél   de Lippi : « Nous partirons de l'hypothèse que le désir, dans la psychose et en particulier dans la schizophrénie, passe par l'hallucination et le délire  que nous considérons comme des inventions du sujet ». Ce choix théorique, à l'instar du choix de la résistance de Katzarov, montre combien la psychanalyse doit être située du côté d'une approche non déficitaire de l'autre qui conduit l'analyste, non pas à tenter de rectifier les patients là où ils « pècheraient », mais à prendre appui sur ce qu'ils sont pour les aider à se pacifier. Il est bien sûr difficile de vivre avec des hallucinations, un sentiment de persécution. « Myriam », dont Lippi expose le cas, « arrivera à donner un sens à ses hallucinations, non à travers la construction d'un délire stabilisé, mais par le truchement de l'écriture », celle-ci permettant, si je peux le traduire ainsi, d'extraire l'objet (qui persécute) du corps du sujet pour le projeter sur le papier. Cette expulsion (aux allures d'extraction de l'objet petit a) paraîtrait d'autant plus complète qu'elle donnerait lieu à « poubellication », selon le mot de Lacan. Mais Lippi explique que Myriam est dans le « non finito » ; dans un processus infini, sans but, qui s'apparente plus au jeu qu'aux grandes suppléances associées au « sinthome ». Tous ces thèmes ; le désir dans la psychose, le sinthome, la capacité, pour un écrivain psychotique, de finir un texte, sont des sujets qui sont pour le moment en cours d'élaboration chez les psychanalystes, et ce sera probablement bien plus en étant présents auprès de ces fous qu'en se raccrochant à ce que leurs prédécesseurs en ont dit (de souvent pompeux et flou), que les psychanalystes parviendront à comprendre ce que finir un texte peut vouloir dire pour un psychotique (à savoir par exemple en finir avec lui-même). En attendant, « cette tentative, qui est déjà une tentative de guérison, la met [Myriam] dans une autre position, position de sujet qui crée (quelque chose) vis-à-vis de ce qu'il est en train de subir (de l'Autre). »

Dans Sous les décombres - le désir !, Gorana Bulat-Manenti rapporte le cas d'un patient phobique dont les moindres actes professionnels sont devenus presque impossibles à poser tant l'angoisse l'arrête. Elle décrit en quoi a consisté l'analyse lacanienne de cet homme dont, au cours du processus, « L'angoisse s'en est allée doucement mais sûrement avec les changements [qu'il] (...) a su apporter (...) dans son quotidien dont la perception s'est modifiée ». Bulat-Manenti commence son article en expliquant que « Contrairement à de nombreuses thérapies réputées vouloir "le bien" du patient, la psychanalyse trouve son efficacité dans sa capacité à approuver un désir hésitant, contradictoire, ayant toujours pour objectif sa disparition ». Je ne sais pas si l'on peut stricto sensu dire que le désir vise sa propre disparition (comme s'il était une personne ?) mais ce type de questionnement caractérise certainement une psychanalyse dont la revue cherche à dessiner la spécificité. Ainsi Bulat-Manenti mentionne-t-elle que si d'après Lacan, le désir est désir de l'Autre, l'humain n'en dit pas moins « non à ce désir Autre, pour pouvoir exister » en tant que différant de cet Autre (ce qui est au principe de l'existence pour la psychanalyse : le sujet existe de se constituer comme séparé). Du refus de ce désir qui lui apparaît comme désir de l'Autre, il résulte « une culpabilité dont la force est si grande qu'elle peut le perdre en tant que sujet »   .

Jean-Marie Fossey, dans Madame Bovary ou le désir insatisfait de l'hystérique dresse le portrait d'Emma Bovary en Hystérique pur sucre, en oubliant que les possibilités de choix extrêmement restreintes des femmes de son époque les condamnaient à une insatisfaction qu'il est possible de mettre en rapport avec la condition féminine au 19ème siècle plutôt qu'avec l'hystérie. Appliquer la psychanalyse à la littérature est de toutes manières une erreur qu'on pouvait espérer ne pas voir commettre dans un article qui commence par : « le poète et l'écrivain précédent (sic) le psychanalyste et combien il faut leur donner la préséance ». Quitte à vouloir donner la préséance à quelqu'un qui vous précède déjà, autant éviter de lui passer sous le nez sans le voir, non ? Car qu'en reste-t-il de vivant dans une description qui rapporte de lui uniquement ce que Lacan et Freud ont dit de l'hystérique ? N'est-il pas temps, pour la psychanalyse, de rompre avec ces portraits caricaturaux de « l'hystérique », « l'obsessionnel », « le pervers » dont les psychanalystes les plus expérimentés ne reconnaissent aujourd'hui plus grand-chose ?

Dans Que nous indique l'apathie à propos de la passion ? Jorge Cacho reprend la lettre qu'une patiente a adressée à Esquirol, sur la demande de ce dernier. Le portrait qu'elle y fait d'elle-même correspond à un tableau mélancolique caractérisé par l'apathie plutôt que par la tristesse. Cacho reprend ce curieux document avec l'idée que la demande inexpliquée d'Esquirol « provoque et augmente l'expérience du "vide" et du rien dans l'impossibilité où elle se trouve, non pas d'écrire son état [ce que lui demande Esquirol], mais de symboliser le Réel qui, par lui-même, tend à remplir le vide ». Sans employer le terme de « déclenchement », Cacho laisse à penser que la demande d'Esquirol, soit confronte la patiente au mur de sa propre folie, soit induit le risque de la faire (plus gravement) déclencher, ce qui, à mon sens, se serait sans doute produit si elle avait nourri à l'égard d'Esquirol autre chose qu'un transfert négatif (que note Cacho) soutenu par la persistance de l'attachement passionnel qui la liait à son mari. Cacho interroge par ailleurs la nature de la jouissance qui a poussé cette femme très religieuse à offrir sa vie à Dieu en échange de la santé pour son mari malade, et qui la poussait également, comme d'autres femmes, à se satisfaire de la satisfaction de ses proches. Psychose ou féminité ?

Dans un entretien avec Hélène Blaquière, Catherine Millot, analyste et écrivain, explique comment psychanalyse et écriture s'entrecroisent dans sa vie, faisant de l'écriture le lieu de la poursuite de son analyse et craignant toujours son tarissement. Cela revient à placer l'analyse et l'écriture du côté de l'imaginaire. Pourtant, il est possible de considérer que le déroulement du fil imaginaire dans l'analyse n'est pas une fin en soi mais un moyen d'en finir avec l'auto-construction de soi permanente, le récit autocentré, en d'autres termes d'en finir avec les mirages d'un narcissisme envahissant. En ce sens, les buts de l'analyse et de l'écriture diffèreraient d'une manière bien plus radicale que ce qu'en dit Millot. Ainsi que les moyens, puisque la première requiert un analyste, la seconde non. L'écriture, « Ce n'est pas de l'autoanalyse, la preuve c'est que j'ai des lecteurs qui peuvent me renvoyer des choses qui font leur effet », écrit pourtant Millot qui, sortant ainsi l'écriture de l'auto-analyse, l'assimile implicitement à l'analyse. Il semble pourtant que le processus analytique requière bel et bien un analyste, et non pas simplement quelqu'un qui vous fait de l'effet et donne un sens à ce que vous dites ou écrivez. Sinon, il suffirait de tomber amoureux ou de correspondre avec ses lecteurs les plus assidus pour faire une analyse. Au sujet du vide qu'elle essaie ascétiquement de ménager dans sa vie, elle écrit cependant :

« Pour qu'il y ait cet espace vide, il fallait qu'il y ait quelque chose autour. Ma double activité professionnelle, l'université et les patients, servait à border ce champ où l'écriture adviendrait peut-être. »

Et à cela, on ne peut qu'acquiescer.

Marc Strauss, dans Folies névrotiques masculines et féminines, nous livre un article qui pose une question importante ; y a-t-il une folie spécifiquement masculine, et une folie spécifiquement féminine ? Le tout en passant par l'association hystérie / femme et névrose obsessionnelle / homme (j'ignorais que cette bipartition avait encore cours...) et par la mention d'une autre association encore plus pittoresque entre folie psychotique et féminité, folie névrotique et masculinité (dont j'ignorais qu'elle avait jamais eu cours). Mais il se rattrape en distinguant passage à l'acte et acting-out dans un paragraphe qui mérite d'être cité : « La folie du passage à l'acte attente à l'inscription même dans le discours, elle en brise le cadre et il faut que l'analyste sache arrêter le sujet sur cette pente. Nous savons qu'aux folies des passages à l'acte, Lacan oppose celles de l'acting-out, qui consistent à menacer les autres de céder à la tentation de casser le cadre, pour attirer leur attention. Ce dernier, il faut l'écouter, alors que le premier, il faut l'arrêter. Même si n'est pas fou qui veut, passage à l'acte et acting-out sont des possibilités de sorties de route du désir, qui menacent le parlêtre, quel que soit son sexe »