Le prochain Printemps de l’Economie inclut une table ronde organisée par France Stratégie sur les indicateurs complémentaires au PIB susceptibles de guider l’action publique, ayant pour ligne d'horizon la croissance. La qualité de cette dernière, et sa métrique, a fait et fera encore débat. Adoption, le 2 avril 2015 au Sénat d'une loi en ce sens, tenant en un article (Ah, la simplification chère à M. Macron?...).

Objectif : une croissance, désirée et désirable, pilotée et mesurée à l'aide de nouveaux indicateurs de richesse. D'où le besoin d'indicateurs complémentaires du PIB, pour la définition et l’évaluation des politiques publiques   L’adoption en 1ère lecture par le Sénat et l'Assemblée nationale (respectivement, le 2 avril et le 29 janvier derniers) d'une  "petite loi"   pour un grand pas hors du PIB totemique prélude au Printemps de l’économie (13-17 avril 2015). Au moins, d’une table ronde organisée par France Stratégie intitulée « Les indicateurs complémentaires au PIB peuvent-ils changer l’action publique ? »   . Pour l’heure, florilège des échanges au Sénat, concluant la proposition de loi adoptée en première lecture.

Applaudissements du groupe EELV : « C’est l’aboutissement d’un travail de conviction, de nombreuses concertations avec des universitaires et des associations ; c’est aussi, il faut le dire, le fruit d’une certaine ténacité » estime Eva Sas, députée et auteure de la proposition de loi adoptée en 1ère lecture par les 2 assemblées. Pour son collègue sénateur André Gattolin, « l’adoption de cette proposition de loi d’origine écologiste par le Sénat à majorité de droite montre, s’il le fallait encore, l’intérêt de cette démarche pour tous les décideurs politiques : mieux prendre en compte le quotidien de nos concitoyens dans la définition des politiques publiques »   .

En vue, un prochain tableau de bord d’indicateurs complémentaires au PIB, pour – en principe – jauger les résultats de la politique gouvernementale et orienter les décisions budgétaires à venir de la France.

A la clé de cette initiative, espère Eva Sas, une consultation citoyenne : « la plus large possible. Aux citoyens de s’approprier cette loi en déterminant collectivement quels sont les indicateurs de progrès de notre société ». Au fait,qu’est-ce qu’une société « qui va bien » : de l’espérance de vie en plus, des inégalités de revenus moindre… Font-ils selon vous partie des critères, citoyens ? Et quid de l’empreinte écologique, des investissements d’avenir, du niveau d’éducation à viser ou de l’accès à un logement décent ? La liste des desiderata n'est pas close...

Un tableau de bord décidé par qui ?

« Aux Français de répondre à ces questions ! Ensuite, au gouvernement de s’emparer du sujet et d’évaluer les progrès ou les reculs de la France sur tous ces indicateurs, dès le budget 2016 » rêve la députée écologiste attachée à cette loi   . Cela ne semble pas du goût de tous les parlementaires ; ainsi, parmi les intervenants du débat du jour   : « La liste des indicateurs doit être confiée au Parlement et non à je ne sais quel organisme de démocratie participative ». Entre parenthèses, au fil de sa plume Corinne Lepage   rapporte justement que dans d’autres démocraties que la France, les processus de consultation des citoyens « ne sont ni méprisées ni vues comme concurrentes par les parlementaires »… Ce n'est pas cette réplique de sénateur qui nous convaincra qu'elle exagère !

Une commission conjointe du CESE (Conseil Economique, Social et Environnemental) et de France-Stratégie (ex-Commissariat au Plan) doit se prononcer sur les dits indicateurs à considérer   .

Quoique son groupe politique ait choisi de s’abstenir, lors du vote de cette Loi à article unique, Claude Kern a souligné que « Le PIB exerce en effet une forme d'hégémonie parmi nos indicateurs économiques », de l’ordre du « carré magique » malgré ses limites, bien connues. Notamment : « Il repose sur des éléments de production périlleux pour le bien-être de la population à long terme. »

Par exemple, les pics de pollution urbaine, causes potentielles de dépenses de santé à long terme, correspondent à une consommation de carburant qui pèse positivement dans la balance, à court terme. Ou encore, des atteintes à l’environement comptabilisées positivement au titre des travaux de réparation qu’elles génèrent ! 

Cela fait maintenant plusieurs décennies que les « écolo » ont pris le pli d’ironiser sur la destruction de Notre Dame ou du Louvre susceptibles de doper l’indicateur de croissance, entre autres joyeusetés, savamment qualifiées parfois d’externalités négatives. Mais il en existe aussi de positives, tout aussi occultées :  « La vision purement comptable de la dépense publique ignore en outre les externalités positives – comme l'effet positif de l’éducation » indique le sénateur Claude Kern. Et, au diable l’avarice : le trafic de stupéfiants au même titre (positif) que toute activité commerciale entre dans le PIB... comme mentionné par Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget, lors du débat préalable à l'adoption de cette loi, au Sénat, le 02 avril dernier.

Le compas et la boussole d’un Jack Sparrow en goguette

C’est un peu le compas et la boussole de nos politiques publiques, instruments de pilotage d’un fétichiste Jack Sparrow en goguette… Sur cette base sont calculés, entre autres, le déficit et la dette, note le sénateur Jean-Claude Requier pour lequel « la crise interroge toutefois l'indicateur, qui n'a pas permis d'alerter sur les dangers sociaux et écologiques... Le développement d'une société ne peut plus se résumer au seul développement économique ». Pour autant, pas question de céder aux sirènes « d’indicateurs inspirés par la philosophie bobo et les petits oiseaux. Se doter de nouveaux indicateurs économiques, comme l'ont fait les régions en 2012, est de bon aloi » (lire aussi l'analyse de Jean Pisany-Ferry   ). Las, une vision purement quantitative de l'économie omet de mesurer les inégalités, comptabilise positivement les catastrophes naturelles, ne tient pas compte de la qualité de la richesse produite, de l'environnement, de l'économie informelle. Et passe à la trappe de l’histoire bénévolat, travail des mères au foyer et autres « quantités négligeables » constitutives de la vie familiale et sociale   .

Des experts, rapports, livres, forum… à foison

Les limites du PIB n’échappèrent pas même à Simon Kuznets, considéré comme l'un des pères de la comptabilité nationale. Plusieurs économistes ont élaboré d'autres indicateurs comme l'indice de développement humain au début des années 1990 ; la mesure du bien-être économique, conçue par William Mordhans et James Tobin, au cours des années 1970, l'indicateur de santé sociale ou encore l'empreinte écologique... L’OCDE, en juin 2007, a initié un forum mondial couronné par la « Déclaration d’Istanbul » stipulant d’élaborer une mesure du progrès social. Joseph Stiglitz et un aréopage de pairs renommés ont alimenté la réflexion sur le thème « Vivre mieux » ou encore le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi, dans le cadre de la commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social inauguré par le président Sarkozy, les travaux de l'Association des régions de France sur la déclinaison régional de l'indice de développement humain, l'indicateur de santé sociale et l'empreinte écologique. La Commission européenne n’est bien sûr pas en reste avec, en 2009, notamment une communication intitulée « Le PIB et au-delà – Mesurer le progrès dans un monde en mutation ». La France ne serait pas la 1ère en Europe à s'y coller !

Rien qu’en France, le Conseil national de l'information statistiques (Cnis), le Cese (Conseil économique, social et environnemental) avec un avis rendu en 2009 ont été mis à contribution aussi. Dans un rapport de juin 2014, intitulé Quelle France dans dix ans ?, France Stratégie a promu sept indicateurs de la qualité de la croissance pouvant faire l'objet d'un suivi annuel, susceptibles "d'accompagner" le PIB.

En l'occurrence, cette "petite loi" consiste en une demande de rapport Hexagonal, à paraître en octobre, afin que « le débat budgétaire et les études d’impacts puissent utilement s’en inspirer » conclut André Gattolin. Cet indicateur n’est pas un accessoire de théâtre anodin : « Il oriente les analyses et préfigure les décisions.» «L'écrasante omniprésence du PIB dans les têtes et les discours» nous enferre « dans un monde où la croissance semble, notamment dans nos sociétés, atteindre des limites structurelles 



Le débat in extenso : http://www.senat.fr/cra/s20150402/s20150402_2.html#par_161

A SUIVRE : L’édition 2015 du World Forum de Lille, à l’automne, affiche la couleur : « La croissance se réinvente ici ! »