À ses débuts en 2001, l'encyclopédie en ligne Wikipedia était une terre vierge, pleine de promesses. La seule règle était de participer, de livrer son savoir, que l'on soit spécialiste ou amateur éclairé, quiconque possédait une quelconque connaissance était humblement prié de la partager avec le monde entier. L'ensemble des articles publiés dans les encyclopédies tombées dans le domaine publique, comme la version 1911 de Britannica, formait la base, la matière malléable que des milliers puis des millions d'internautes allaient pouvoir actualiser à leur goût. Les valeurs clés étaient l'altruisme, l'humanisme et la générosité. Wikipedia offrait l'opportunité inédite aux oubliés des rampes intellectuelles d'apporter leur pierre à l'édifice du savoir humain, avec modestie et discrétion. Ces contributeurs étaient comme de bons sauvages dans le jardin d'Eden 2.0.

Mais l'état de grâce, là aussi, allait être de courte durée. L'encyclopédie libre devint vite le champ de controverses, de règlements de comptes entre chapelles, de bagarres ineptes. Des attaques vandales, qui consistent à remplacer le contenu scientifique d'un article par une insulte ou une interprétation toute personnelle du sujet   , furent de plus en plus fréquentes, touchant en premier lieu bien sûr des articles à contenu politique ou religieux. Le style "un peu plat - générique - bien-pensant - synthétique - désengagé - neutre"   que les premiers rédacteurs adoptaient de façon presque inconsciente ne venait plus spontanément, et un contrôle de plus en plus serré fut nécessaire. Parfois même un peu trop serré, des articles inoffensifs et tout à fait sérieux mais jugés de trop peu d'intérêt étant évincés abusivement.

Nicholson Baker dans la New York Times Review of Books passe ainsi en revue avec humour son histoire personnelle de Wikipedia, racontant comment d'éditeur occasionnel d'article il est devenu véritable accro, agissant parfois en Zorro pour empêcher l'effacement de ces articles menacés. Il explique comment de nos jours, qui veut participer à la gigantesque entreprise doit au préalable avoir intégré la moindre subtilité de fonctionnement de l'appareil, au risque de voir sa contribution annulée dans l'heure.

C'est là que l'ouvrage récent de John Broughton   , Wikipedia: The Missing Manual se révèle précieux. Paru chez Pogue Press, il donne en 477 pages les indispensables outils pour "passer pour un pro dès la première édition", et ainsi avoir une chance que cette contribution reste en ligne quelque temps. Un livre indispensable pour qui veut sérieusement contribuer à cette entreprise collective de connaissance.


Liens

> Lire l'article de Nicholson Baker.
> Voir sur nonfiction.fr l'article Wikipedia en débat


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crédit photo : Ross Mayfield/flickr.com