Charles Péguy (1873-1914) a connu une réception paradoxale. D’aucuns ont à l’esprit l’image d’un écrivain nationaliste, attaché aux traditions et catholique fervent : tel serait l’auteur des Mystères et « compagnon » d’âme de Jeanne d’Arc, figure inspiratrice qui n’a cessé d’habiter son œuvre. D’autres retiennent l’engagement de Notre jeunesse (1910), celui de l’intellectuel dreyfusard et socialiste. Entre ces deux images se lovent les malentendus hérités de l’Occupation, qui fut une période contradictoire dans la lecture de son œuvre (le régime de Vichy a tenté de l’« annexer », alors même que Péguy était une référence pour nombre de résistants). Célébré peu de temps après sa mort, puis longtemps ignoré, l’auteur est depuis quelques années l’objet de travaux critiques qui s’attachent à redécouvrir l’originalité profonde de son écriture et la cohérence de sa pensée.
C’est dans le prolongement de cette redécouverte que s’inscrit la parution, en septembre 2014 – année du centenaire de sa mort – des Œuvres poétiques et dramatiques de l’écrivain, dans la désormais canonique collection de la Pléiade. L’originalité de cette publication, à laquelle ont contribué des chercheurs de sensibilités diverses, est de faire apparaître la cohérence du travail mené par Péguy en marge des représentations clivées de cet auteur et des « étiquettes » qui lui sont accolées. Comme l’affirme Claire Daudin, coordinatrice de l’édition, dans une interview consacrée à cet ouvrage : « Le poète n’est pas ‟l’autreˮ du polémiste, mais bien ‟le mêmeˮ » [« La nouvelle Pléiade vue par Claire Daudin », interview à consulter sur le site de L’Amitié Charles Péguy].
En rassemblant les textes qui n’avaient pas trouvé leur place dans les précédents volumes, cette nouvelle édition des Œuvres entend mettre au jour la cohérence des écrits poétiques de Péguy et présente à cette fin une double originalité. Tout d’abord, les pièces publiées du vivant de l’auteur et ses écrits posthumes y ont été rassemblés dans l’ordre chronologique de leur parution, ce qui laisse entrevoir leur évolution « naturelle », déprise de tout regroupement thématique. Les éditeurs ont également fait le choix de ne pas reconstituer les textes inachevés, comme cela était d’usage, mais de s’en tenir au plus près des manuscrits et des parutions originales – jusque dans le respect des choix typographiques de l’auteur. En cela, l’édition nouvelle de ses Œuvres poétiques et dramatiques se veut fidèle au geste premier de Péguy et entend ressaisir sa parole dans ce qu’elle a d’inédit, loin des lectures simplificatrices un temps menées de son œuvre.
On lira avec le plus grand intérêt, sur le site de l’Amitié Charles Péguy, un dossier consacré à cette nouvelle édition [« Dossier spécial Pléiade »]. Sur ce même site figurent également plusieurs notices bibliographiques utiles aux chercheurs comme aux lecteurs « novices », ainsi qu’une biographie complète de l’auteur
Charles Péguy, Œuvres poétiques et dramatiques, édition publiée sous la direction de Claire Daudin avec la collaboration de Pauline Bruley, Jérôme Roger et Romain Vaissermann, « Bibliothèque de la Pléiade », Gallimard, 1 888 pages, 67,50 euros