« Si je devais être radicalement engagé, je ne ferais pas de théâtre. » – Marco Layera

 

Marco Layera et sa compagnie La Re-Sentida (le ressentiment) jouent à Avignon La Imaginación del futuro, pièce construite autour du dernier discours de Salvador Allende prononcé dans le palais de la Moneda, sous les bombes des forces putschistes, quelques minutes avant de mettre fin à ses jours, le 11 septembre 1973.

Marco Layera, metteur en scène chilien né en 1977, défend un théâtre politique fait d'insolence et de provocation, instruments privilégiés pour mettre en question la réalité présente. Pour lui, « la subversion est une capacité à modifier l'ordre établi. »   La tragédie ou le drame ne répondent plus à cette exigence. Seul le rire qui naît de l'irrespect semble, à ses yeux, à même de redonner à l'art son potentiel subversif.

Irrespectueuse, La Imaginación del futuro l'est résolument. Salvadore Allende, et qui plus encore le Salvadore Allende du discours du 11 septembre 1973, se voit jeté dans la fange du ridicule, exhibé en Ubu roi, somnolent et cocaïnomane, un Charles Bovary au palais de la Moneda entouré de ses ministres-bouffons. Le dernier conseil des ministres, entre deux coca-lights et orgies extatiques, se mue en agence de communication grotesque, toute affairée à la qualité marketing du dernier discours d'Allende qui doit lui permettre d'entrer dans l'Histoire.

Un théâtre du ressentiment

Les idéaux socialistes ? L'utopie politique ? Noyés dans le risible. Car Marco Layera appartient, selon ses mots, « à une génération absolument désabusée ». La Imaginación del futuro naît du ressentiment que son metteur en scène nourrit « envers ceux qui ont fait de notre pays un conclave bananier et envers ceux qui nous ont appris à rêver d'un pays plus juste et solidaire, et qui nous ont trahis ». À ces yeux, Allende est autant coupable que Pinochet, car il le précède comme causalité. Celui qui fait croire aux illusions est celui qui cause la désillusion. En conséquence, il doit être traîné dans la boue.

Le procédé subversif de Marco Layera est mis au service du ressentiment ; ce qui conduit généralement au pire. La Imaginación del futuro en est la parfaite illustration : il confond critique politique et (auto)destruction juvénile. Tout jeter, tout faire péter, c'est ne rien changer. Idiot utile du néolibéralisme, la pseudo-posture post-moderne de Marco Layera est d'une pauvreté intellectuelle et politique affligeante. Son propos semble pourtant partir de postulats intéressants – et pour le coup d'une certaine transgression – tels que « la culture sera toujours inférieur au social » – paroles salutaires en Avignon. Mais l'enchaînement est plus que problématique. Ainsi, à ce sujet, Marco Layera met en scène en plein milieu de la pièce une fausse quête d'argent pour aider un (faux) adolescent chilien dans le besoin. La quête d'argent tourne au lynchage symbolique d'un spectateur, qui se voit proposer une fellation pour stimuler sa générosité. Une comédienne se dénue alors, le micro entre ses seins. Provocation ultime et pénible : elle vient simuler la fellation directement sur le malheureux spectateur.

La rage de l'artiste ne suffit pas

Le procédé subversif d'un Marco Layera ne vaut pas mieux que celui d'un Rodrigo García s'attaquant à la figure de Borges à grand coup d'images pornographiques mêlées à celles du dictateur argentin Jorge Rafael Videla   . On y retrouve-là la petite jouissance fasciste du metteur en scène grand ordonnateur égotique de sa pièce. Le théâtre de Marco Layera fait penser à ses artistes qui prospèrent dans les salons de vente d'art contemporain mondialisés, de New-York à Dubaï, grâce à une imagerie pseudo-critique de la société de consommation. Du clinquant, du kitsch, de la posture rebelle. Sur invitation et sous la protection des grands argentiers du capitalisme néolibéral et de leurs fondations privées d'art contemporain. Du « subversif » grandement subventionné, par fonds publics ou fonds privés. Mais Marco Layera, en bon garçon, « aspire à un monde idéal dans une perspective humaniste », nous assure-t-il. De la misère d'un metteur en scène qui n'a que sa petite rage comme moteur artistique.

« Et si tout ceci n'a-t-il été que le caprice d'un président bourgeois ? », telle est la demi-hypothèse fuyante sur laquelle Marco Layera tente de fonder sa pièce. Et si tout ceci n'était que le caprice d'un artiste bourgeois ?


La imaginación del futuro (L'imagination de l'avenir)
de Marco Layera
Cloître des Carmes, Festival d'Avignon, du 17 au 25 juillet 2014.

 

À lire également

- Patrick Sourd, « Avignon : “La Imaginacion del futuro”, le révisionnisme servi sur un plateau », Les Inrocks, 18 juillet 2014.

- Brigitte Salino, « Marco Layera déboulonne la statue de Salvador Allende », Le Monde, 19 juillet 2014.

- Jean Belmonter, « Insolence barbare », Carnet d'Art, 20 juillet 2014.