Saint Laurent de Bertrand Bonello, un film d’esthète menacé d’étouffement

La biographie cinématographique d’Yves Saint Laurent - deuxième version -  réussit l’exploit de réunir un des réalisateurs les plus précieux de la scène française (Bertrand Bonello, auteur de Le Pornographe, De la guerre, et L’Apollonide) et le producteur le plus porté sur le blockbuster de ce même microcosme, EuropaCorp - et ce n’est évidemment pas le seul mérite du film. Le résultat est un film ambitieux sur cette icône de la création qu’est YSL, un film très personnel, véritablement « cousu main », pour filer la métaphore de circonstance, par Bonello. Le cinéaste aborde tous les aspects de la vie du personnage, de son œuvre et de son univers, en parvenant habillement à lier les uns aux autres tout en y intégrant ses propres obsessions : Saint Laurent créateur, Saint Laurent amant, Saint Laurent addict, Saint Laurent corporation…

Au contraire de nombreux biopics, Saint Laurent ne trace pas la trajectoire linéaire d’un personnage, mais en brosse plutôt un portrait fragmenté qui pose en filigrane la question du désir de créer, du renouvellement de l’inspiration, de la vanité de l’effort. Se référant explicitement à Mondrian, une des inspirations d’Yves Saint Laurent, le film adopte lui-même la structure (narrative et, à l’occasion, visuelle) des toiles du maitre ; chaque séquence du film est d’une grande pureté et montre un grand talent de mise en scène (en particulier les scènes de rencontres en boite de nuit, portée par une bande originale d’une puissance exceptionnelle).

Pourtant, comme la tortue de des Esseintes qui succombe aux pierres précieuses incrustées sur ses écailles dans A Rebours de Huysmans, le film menace in fine d’étouffer sous le poids de ses références. L’orfèvre Bonello et le couturier Saint Laurent partagent bien des univers et préoccupations, mais il faut croire qu’un film n’aura jamais la légèreté d’une petite robe en coton.

Relatos Salvajes de Damian Szifron, a funny history of violence

Et si l’homme que vous avez insulté en voiture venait vous casser la figure lorsqu’il vous retrouve en panne sur le bord de la route ? Et si vous faisiez exploser la fourrière après vous être insurgé en vain contre l’injustice de l’administration policière ? Comment réagiriez-vous si vous découvriez le jour de votre mariage que votre mari y a invité sa maitresse ? Si les six fragments de la comédie noire de l’Argentin Damian Szifron ont fait sensation sur la Croisette, c’est qu’elles doivent beaucoup au talent de mise en scène dont fait preuve le cinéaste et à son sens de l’à-propos. Les situations présentées sont celles d’hommes déçus, en colère ou désespérés, qui entrent dans une spirale de violence burlesque dont ils ne sortent que rarement par le haut.  Le film détonne, parce qu’il appartient à un genre sous représenté à Cannes – la comédie – et à une forme mineure, la compilation de sketches. Il ne ménage pourtant pas ses efforts pour sonner juste, renouveler ses angles d’attaque et provoquer toutes sortes de rires, du ricanement au rire sardonique, en passant par le rire jaune et le rire sadique, entrecoupés de quelques grincement de dents…

Maps to the stars de David Cronenberg, monstres, incestes et Hollywood

Cruel, monstrueux, malade, cynique, névrosé : avec Maps to the Stars, David Cronenberg réalise un grand film cauchemardesque sur Hollywood tout en poursuivant sa recherche sur les rapports entre le corps et la psyche. On y suit un auteur à succès et coach de stars, une vedette sur le déclin névrosée, un acteur chauffeur de limousine, mais aussi les premiers pas d’une jeune pyromane aspirant scénariste et les outrages d’un enfant star. Le film, qui évoque à la fois Qui a tué Baby Jane ?, Sunset Boulevard, et Mulholland Drive, est un savant mélange de ces différentes traditions et de références directes au milieu cinématographique américain très contemporain.

Hollywood, où règne la tyrannie de l’image et de la jeunesse, est avant tout le lieu de la concurrence des corps. Objets de désir cinématographique, ils sont confrontés à leur vieillissement et, dans le cas de Havana Segrand (Julianne Moore), à l’obsession de la beauté de sa mère éternellement fixée sur pellicule. Si on retrouve dans le film un regard très attentif aux corps (corps brûlés, peaux rugueuses et cranes anguleux), Cronenberg lie désormais cette obsession à ses préoccupations psychologiques développées plus récemment dans A Dangerous Method : l’inceste, ce thème « so eigties » qui est au centre du film, évoque à la fois un tabou culturel et une consanguinité concrète.

Le film est aussi la description d’un monde hollywoodien sans piété, avec ses ragots, ses hypocrisies, ses déceptions. Tandis que Julianne Moore prépare assez pathétiquement son retour, le jeune acteur star Benjie Weiss (Evan Bird) abuse du pouvoir que lui confère le succès. Paradoxalement, le double monstre Agatha Weiss (Mia Wasikowska), fruit d’une relation incestueuse et corps recouvert de brûlures, semble être empreinte d’une légère humanité