Le Meraviglie (The Wonders), regard enchanté sur l'Italie rurale

Pour son second long métrage après Corpo Celeste, présenté discrètement à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs en 2011, Alice Rohrwache porte une nouvelle fois son attention sur la vie et les aspirations de jeunes Italiennes de milieux modestes. Le Meraviglie reprend la forme naturaliste de son premier film, décrivant la vie d'une famille rurale du centre de l'Iltaie (l'Ombrie) vivant de petit élevage et d'apiculture. Le père de famille règne assez durement sur sa femme et ses quatre filles qui l'assistent dans les travaux de la ferme, tout en leur portant un amour sec bien que teinté de reproche (il n'a pas de garçon). L'accueil d'un jeune Allemand en réinsertion sociale modifie l'équilibre familial, tandis qu'un jeu télévisé local, "Le Village des merveilles", attise le désir de la jeune ainée, Gelsomina. La grâce de la présentatrice, interprétée par Monica Belluci, excite l'imagination de la jeune fille à la vie par ailleurs très prosaique, mais ne séduit pas le père qui refuse de participer au jeu. Le film tend assez rapidement vers la relation père-fille tout en évitant une dramatisation caricaturale, et vaut surtout pour le regard délicat qu'il porte sur les rapports familiaux. Les Merveilles tant cherchées par les enfants dans le monde extérieur, le père les trouve dans le lien très étroit qu'il entretient à la nature et au travail. Par là, le rapport presque documentaire du film à l'apiculture, qui plait aussi par sa rareté dans le cinéma contemporain, produit son lot de scènes simples et fortes, le bourdonnement de la ruche remplaçant avantageusement toutes les chansons de variété.

 

The Rover, la monstrueuse parade de Robert Pattinson

Présenté hors compétition, The Rover impressionne par sa plastique aride et rugueuse, qui en fait un des films les plus tendus de ce début de festival. Campé dans un désert australien halluciné, marqué par l'immigration chinoise de ces dernières années et l'extraction minière qui défigure le paysage et attire tout type de "faune humaine", le film de David Michôd décrit de manière très abrupte la course d'un homme dont on ne sait rien, Guy Pears, à la recherche de sa voiture volée devant ses yeux par un groupe de malfrats. Le désert qu'il traverse aux côtés d'un Robert Pattinson attardé est peuplé de freaks qui ne sont pas sans rappeler les mondes de David Lynch et des frères Coen. D’une grande violence, taiseux bien qu’animé par une très belle bande son, The Rover brille d’une belle lueur sombre et mélancolique.

 

Grace de Monaco, portrait de Grace Kelly en soft power

Jusqu’à la dernière minute, l’absence d’ambigüité est gênante. Forte du rôle de princesse qu’elle maîtrise désormais, Grace de Monaco va réconcilier les puissants de ce monde autour de l’amour et des contes de fées, lors d’un grand diner de gala offert sur le rocher des Grimaldi. Deux petites images laissent finalement planer un léger doute : un court plan de démaquillage, puis un flash-back sur des scènes de répétitions, qui rappellent de manière assez classiquement  shakespearienne que « le monde est un théâtre », en particulier celui de la politique, et que Grace en est une actrice bien assumée. Le conte de fées (le coup géopolitique) qu’elle vient de jouer est, si ce n’est feint, du moins pleinement interprété : en incarnant aux yeux du monde Monaco, la généreuse actrice américaine prend en otage le gouvernement français, l’empêche de jeter ses chars sur les routes monégasques, sauve la principauté de l’annexion et évite à l’Europe de basculer dans un nouveau conflit… 

Néanmoins, Grace de Monaco reste un film dont la forme épouse celle du conte de fée, qui se complaît dans le mythe et le glamour, et qu’on l’on aurait aimé plus sombre et mélancolique. A l’heure où les séries télévisées américaines jouent la carte du cynisme et des jeux de manipulation, la tension dramatique de ce biopic politique reste bien sage. L’idée de raconter le sacrifice cinématographique d’une actrice au profit d’une sortie de crise géopolitique (et, quand même aussi, pour le bien de ses enfants et de sa famille) n’est pas en soit mauvaise, mais Olivier Dahan, pris entre le désir de faire le portrait psychologique de Grace Kelly et de dresser le tableau de la situation de tension qui oppose Monaco à la France (donc Rainier à de Gaulle, sur un fond de guerre froide), reste à la surface de ses deux sujets. Rainier constitue un personnage au potentiel intéressant, moins mauvais que la réaction de la couronne monégasque à la sortie du film semble le faire croire, mais aurait pu être d’avantage développé. Grace, quant à elle, est découverte par le spectateur in media res dans cette cour méditerranéenne filmée comme une prison, et ne permet pas d’investissement émotionnel autre que celui porté a priori à l’icône. Par-là, son dilemme s’en retrouve amoindri, ses décisions dédramatisées, son interprétation finale fragilisée.