Le huitième long métrage de Wes Anderson confirme la place unique occupée par le réalisateur américain dans le paysage cinématographique contemporain. Lauréat de l’Ours d’Argent de la mise en scène au Festival de Berlin, The Grand Budapest Hotel narre avec humour les aventures de Gustave H. (Ralph Fiennes), maître d’hôtel dans un grand établissement de la contrée fictive de Zubrowka, et de son garçon d’étage, Zéro (Tony Revolori). Héritier malgré lui d’un tableau d’une grande valeur que lui lègue une riche cliente (Tilda Swinton), Gustave H. doit affronter la vengeance du fils de la défunte (Adrien Brody) qui l’accuse du meurtre de sa mère. Citant Zweig et Lubitsch parmi ses références, Anderson joue la partition de la comédie policière européenne aristo entonnée sur un air loufoque. C’est aussi l’occasion de donner à voir un univers familier et extrêmement codé, celui de l’aristocratie européenne d’avant-guerre, et de montrer en arrière-plan le basculement d’une société cultivée (au sens allemand de Kultur, la civilisation) vers la barbarie (la seconde guerre mondiale et le nazisme).

Wes Anderson réussit ici à affiner un style déjà éprouvé dans ses films précédents, fait d’humour pince-sans-rire, d’univers rétro et de personnages-marionnettes. Si une grande part du charme de ses films vient justement de la singularité et de la richesse des univers en miniatures qu’il parvient à créer, c’est aussi au traitement maniéré de ses histoires qu’il doit son succès : découpage en chapitres, récits enchâssés, axes de caméras frontaux, richesse des textures et décors en carton-pâte… Cette idiosyncrasie artistique permet au réalisateur de réunir une tripotée d’acteurs reconnus, dans des rôles d’une durée parfois très limitée mais toujours caractérisés avec talent : on y voit Edward Norton, Willem Dafoe, Jude Law, Jeff Goldblum, Harvey Keitel, Tom Wilkinson, F. Murray Abraham, Mathieu Amalric, Léa Seydoux, ainsi que les habituels Bill Murray, Owen Wilson et Jason Schwartzman…

Deux jeunes acteurs, Tony Revolori (Zero) et Saoirse Ronan (Agatha), apportent de la fraicheur au casting. La découverte de la galerie de personnage correspondants (le maitre d’hôtel, le lobby boy, la riche cliente, le notaire, le policier, l’homme de main…) est un des plaisirs du film, et leur incarnation par des figures connues contribue à décaler d’avantage l’univers représenté. Le comportement à la fois mécanique et imprévisible, de ces personnages enchante littéralement le film et devrait inciter à de nouveaux visionnages.

L’humour du film tient à la conjonction de cette mécanique des caractères et d’un véritable sens du rythme, à la fois au sein des dialogues et dans l’enchaînement des scènes. L'histoire est racontée avec emballement et l’absence de temps mort creuse le caractère loufoque des situations. Dès lors, la plus grande réussite du film tient à la grande cohérence entre son propos et le style du récit. Le monde hôtelier très réglé, couplé au caractère tout britannique de son maître d’hôtel s’accordent ici, plus encore que dans les films précédents, avec la mécanique d’Anderson : mise en scène métronomique, mécanique de la caméra (frontale, pivotante, travelling) et rythme des gags. Ce cinéma de maison de poupée s’épanouit enfin pleinement dans un univers qui lui correspond parfaitement. Il est dit à la fin du film, à propos de Gustave H., qu’il appartenait "à un monde qui n’existait déjà plus, mais qu’il a su faire survivre si gracieusement.". Il y a en effet de la grâce dans la mécanique malicieuse et enlevée de ce Grand Budapest Hotel…