Le débat sur "la théorie du genre" prétendument enseignée à l’école est au centre de la crispation sociale et identitaire de ces derniers jours, nouveau champ de bataille des convictions émergentes que l’on pourrait cristalliser sous le drapeau de "La Manif pour Tous" ou "printemps français". Bien entendu, cette catégorisation ne rend pas justice aux différentes sources d’engagement des individus contestataires, mais il nous semble que les revendications attisent les mêmes fantasmes sur la différence des genres, la même conception de la construction sociale, et l’idée unique, étriquée, de famille.

De l’initiative du ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon, "ABCD de l’égalité" vise à niveler les représentations sociales  hommes / femmes, et à travers cette pédagogie, réfléchir à un nouveau "processus de socialisation des genres" dont les codes actuels sont encore vecteur de la domination masculine symbolique. Enseigner l’égalité homme / femme aux enfants ne peut se faire sans l’économie de relativiser l’hétéro-normativité, en présentant la tolérance de son prochain : quel que soit son sexe (biologie) mais également son genre (social) et ses préférences sexuelles. La République en tentant de reprendre son rôle de défenseur de l’égalité a attisé la colère de certains parents d’élèves (représentée sous la forme d'un boycott scolaire) et a visé un nouvel ennemi conspirationniste aux contestataires des identités depuis un an : l’étude du genre.

Aujourd’hui relativement autonome au sein des sciences sociales, la notion a émergé de mouvances militantes féministes voulant "éclater la vision essentialiste" et la "dimension normative du genre"   . Son institutionnalisation de 1975 à 2000 en France est passée par une accumulation d’ouvrages canoniques, de manifestations sur la hiérarchisation des sexes, de cursus d’enseignement… Issue de la "deuxième vague" féministe des années 70, l’étude des rapports de pouvoir hommes / femmes connait un tournant décisif une fois entrée au sein de l’université. Les résistances sont multiples face à un domaine qui souhaite se développer de manière indépendante et qui emprunte ses notions et son champ d’analyse au droit, à la psychologie, à la sociologie, à l’anthropologie, à la politique et la philosophie (liste non-exhaustive). En parallèle aux Etats-Unis, son développement est plus précoce mais aussi plus fourni.

En France, la création d’unités interdisciplinaire pour coordonner les matières et la spécification des cours marquèrent l’institutionnalisation des études du genre. Deux modalités stratégiques, la première ayant pour avantage d’aborder les fondements des connaissances en empruntant des concepts d’autres disciplines ; la seconde, inscrite dans une démarche plus heuristique, d’offrir un enseignement sur le genre.

Nous entendons aujourd’hui "théorie du genre"au singulier  dans les médias, qui reprennent une dénomination dé-substantialisée de la complexité et du caractère pluriel des études, notamment en ce que ces dernières comportent d’oppositions et de courants divergents. Au départ, le nom attribué était : "études féministes" ou "études sur les femmes". L’université nomme l’objet d’étude "genre" qu’à partir de 2000, suite à de nombreux débats et échanges entre chercheurs et chercheuses féministes de différentes nationalités comme Christine Delphy ou Judith Butler. Employées au pluriel, les "gender studies" détiennent autant de champs d’analyse et de réflexions que de champs interdisciplinaires, et même d’opposition (la "sex war" des féministes à propos de l’hétérosexualité dans les années 80 en est l'illustration la plus radicale).

Le malaise actuel est peut-être constitué du fait que l’usage du mot "genre" n’est pas régulier au-delà de la sphère académique qui a ouvert ses portes à cette discipline que très récemment (aux environs des années 2000), et qu’il porte en lui les racines d’une militance que certains confondent avec une volonté de "conversion" à l’homosexualité. Mais lorsque il est sujet d’identité, il n’y a pas d’engagement idéologique qui prévaut dans la République, seulement la volonté d’une politique d’égalité essentielle de la reconnaissance entre sexes (hommes / femmes) et entre les genres. Et cette reconnaissance parait être la visée fondamentale de ce pan des sciences humaines parfois critiqué en son sein (et on le voit aujourd'hui au-delà), mais qui a pour mérite indéniable de souligner la légitimité et la réalité du caractère pluriel, et l’absurdité de la domination symbolique d’une spécificité plutôt que d'autres

 

Pour faire une piqûre de rappel de l'importance de l'expression de la multiplicité, Nonfiction.fr a sélectionné pour vous une série d’article :

Éloge de la diplopie aux pays des gender studies par Fabrice Bourlez

Plaidoyer pour les atypies sexuelles par Flavia Hofstetter

Multiplicité et biologie des sexes par Fabrice Bourlez

Genres et politiques par Arthur Vuattoux

Comment le genre bouleverse l’histoire de l’art par Christian Ruby

Rhétoriques queer et homosexuelles par Fabrice Bourlez

Famille, je vous Haime par William Foix

 

À lire également sur Slate.fr : Dossier gender studies