Une étude sur la crise par le prisme de la démographie avec les inégalités économiques entre générations en France, entre papy boomers aisés et actifs précaires.

 "Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde" nous a appris Camus. Hakim el Karaoui, consultant, agrégé de géographie et normalien   épaulé par son jeune collaborateur, Sami Fennich, ont tenté de nommer la crise que nous traversons actuellement dans un essai coup de poing paru en octobre 2013.

Partant du postulat que cette crise n’est pas de nature financière mais bel et bien globale, ils nous désignent ses coupables, pointant du doigt  la génération des papy-boomers née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Les auteurs l’accusent d’avoir pris – silencieusement -  le pouvoir démocratique et économique aux dépens des générations les plus jeunes. Il s’agit en l’occurrence de la première manifestation d’un phénomène inédit dans l’histoire de l’Occident. Reprenant André Masson   pour qui "le tapis roulant des événements de la vie est plus ralenti pour les nouvelles cohortes nées lors des années 1970 et 1980", ce livre se veut un cri d’alarme. Un cri justifié par l’impasse qui est devant-nous et l’absence de débat argumenté sur cet enjeu démographique aux répercussions socioéconomiques concrètes sur le quotidien des centaines de millions de citoyens. 

Pour la bonne cause, les travaux de Louis Chauvel   ont été mobilisés. Après la fracture sociale et la fracture territoriale qui fragilisent ce qui reste du tissu de la société française, nos auteurs proposent la fracture générationnelle. Une ligne tangible qui partage désormais les actifs des retraités. Tout est question de démographie et d’arithmétique. Ainsi, l’histoire qui nous est contée est celle d’une génération libérale et ultra individualiste par excellence. Une classe d’âge qui a fait 1968 à 20 ans, œuvrant à la libération sexuelle notamment par l’IVG. Nous les retrouvons vingt ans plus tard en train de briser ce qui restait de modèle social européen pour le remplacer par une libéralisation financière tout azimut, l’OMC est devenue le cadre de référence d’un monde globalisé et le modèle de libre-échange, la seule option valable.

Hélas, en 2008, année charnière, la musique s’arrête. Les papy-boomers devaient faire faillite, il en a été autrement. "Par un brillant tour de  passe-passe" le transfert de la dette privée vers la dette publique, a contraint les États, à savoir les actifs, à régler la facture, au risque de miner le présent et d’obérer l’avenir. La dette privée a été en définitive globalement remboursée pour le grand malheur des Etats et des jeunes générations. Entretemps, les baby boomers âgés ayant dépassé le cap de la soixantaine, sont partis à la retraite avec un patrimoine important. L’arrivée massive de retraités concomitante à la raréfaction des ressources n’est pas de nature à rassurer les auteurs.

Signe fort, la différence de patrimoine entre les moins de 50 ans et les plus de 60 ans a été multipliée par 10 lors de ces 20 dernières années. C’est ainsi que l’on apprend que 68% du patrimoine net est concentré chez les plus de cinquante ans  alors que ces derniers ne constituent que 37% de la population française. Statistiques de l’INSEE à l’appui, les auteurs n’hésitent pas conforter leur thèse pour rappeler que les plus de 65 ans possèdent la moitié de la capitalisation boursière dans notre pays. Par ailleurs, 75% des retraités seraient propriétaires de leur logement : arrivés à la soixantaine, les jeunes  papy-boomer sont devenus la preuve vivante qu’il "faut mieux être rentier que travailleur acharné".

À ce poids économique vient se greffer le monopole sur le politique. "Le poids politique d’une génération ne fait que reproduire la réalité démographique d’un pays", écrivent-t-ils. Les décisions prises obéissent donc aux intérêts de ceux qui détiennent le patrimoine et non à ceux des actifs. Décideurs et électeurs inscrits sur les listes, présents à tous les rendez-vous électoraux, ont d’ailleurs un âge moyen proche de la soixantaine ; une rapide enquête déterminant l’année de naissance des principaux acteurs de la vie politique française, gauche droite confondues, suffit pour se rendre compte le poids prépondérant des papy-boomers en activité sur le pont du navire France.

La démographie avant tout

Après avoir survolé les graves problèmes démographiques que rencontrent les sociétés allemande et japonaise les effets funestes de cette crise en France sont passés au peigne-fin. Une après l’autre, les critiques fusent avec en ligne de mire, le caractère  "insoutenable" du modèle social français premier producteur de dette, le non-renouvellement de la classe politique et le cumul des mandats.

De cet alarmant constat, les auteurs posent une interrogation centrale : comment revenir à plus de justice et de solidarité ? En bons agitateurs d’idées, ils évoquent brièvement de nombreuses pistes de réflexion. Des perspectives sont à trouver dans l’augmentation du nombre des actifs, la participation plus active de la jeunesse à la vie de la cité ainsi qu’une meilleure contribution des retraités aux mécanismes de redistribution et de solidarité. Aussi sont évoqués les bienfaits du viager compris comme une hypothèque inversée (en anglais " reverse mortgage "), sans oublier un rajeunissement de la classe politique et une dénonciation du cumul des mandats. Il s’agirait donc de créer de nouveaux outils avec l’aide d’assurances,  ou encore le recours à la nue-propriété et la fiducie. D’autres  pistes sont à explorer dans les politiques des retraites (dont le système coûte la bagatelle de 260 milliards d’euros à la collectivité) et de la famille.

C’est un plaidoyer pour une nouvelle solidarité qui puisse fonctionner sur  la métaphore du vase communicant dont se livre se veut le porteur. Le débat a le mérite d’être posé avec moult arguments. On regrettera toutefois le peu de nuance dans la définition qu’ils font des papy-boomers, tous embarqués manu-militari dans le même filet ultralibéral et individualiste au nom d’une hypothétique communion d’intérêts propre à cette génération. Dommage.