Un recueil de citations pour donner envie de lire Diderot.

Ce “choix de citations” renoue avec une pratique éditoriale des Lumières, consistant à proposer l’“esprit” d’un auteur à travers des extraits de son œuvre. La préface s’ouvre sur l’emprisonnement décisif de Diderot à Vincennes en 1749 à la suite de la Lettre sur les aveugles. L’auteur de 36 ans décide alors d’écrire pour la postérité. À sa mort, en 1784, le public ne connaît de lui, pour ainsi dire, que l’Encyclopédie et deux pièces de théâtre. Les autres livres, considérés aujourd’hui comme les plus importants, ne seront publiés qu’après sa mort, durant la Révolution et les deux siècles suivants. C’est ainsi qu’il a évité l’autocensure et réussi à vraiment s’adresser à son lecteur, à instaurer avec lui un dialogue, qui est aussi une façon d’associer les idées, de mettre en rapport les choses, sans dogmatisme, mais en pratiquant le paradoxe, comme une façon de libérer la réflexion et de faire de la lecture une fête de l’esprit.

Ce goût pour le dialogue se manifeste dans cet extrait de l’Essai sur les règnes de Claude et de Néron : “Je ne compose point, je ne suis point auteur ; je lis ou je converse ; j’interroge ou je réponds.” Son matérialisme bien connu façonne également sa vision de l’amour, comme l’indique cet extrait d’une lettre à Damilaville : “Il y a un peu de testicule au fond de nos sentiments les plus sublimes et de notre tendresse la plus épurée.” Luttant contre le despotisme et tous les dogmes, il conçoit l’Encyclopédie comme une œuvre militante, comme il l’explique à sa maîtresse Sophie Volland : “Cet ouvrage produira sûrement avec le temps une révolution dans les esprits, et j’espère que les tyrans, les oppresseurs, les fanatiques et les intolérants n’y gagneront pas. Nous aurons servi l’humanité ; mais il y aura longtemps que nous serons réduits dans une poussière froide et insensible lorsqu’on nous en saura quelque gré.”

Le roman est également un genre traversé par les combats d’idées, sans jamais se résumer à une thèse, comme le montre cette revendication de l’égalité dans le monde très inégalitaire de l’Ancien Régime : “Un Jacques, monsieur, est un homme comme un autre”, affirme le personnage éponyme à son maître qui trouve qu’il abuse de sa bonté : “Si j’ai fait la sottise de vous tirer de votre place, je saurai bien vous y remettre.” Dans son Plan d’une Université, Diderot insiste pour que sa porte soit ouverte “indistinctement à tous les enfants d’une nation”… Selon lui, “le Dieu des chrétiens est un père qui fait grand cas de ses pommes et fort peu de ses enfants”. C’est le type même de formule ramassée et efficace où le philosophe sait mettre les rieurs de son côté.

Mais il peut aussi s’indigner gravement contre ce qui ne s’appelle pas encore le colonialisme, dans sa contribution à l’Histoire des deux Indes de Raynal : “Fuyez, malheureux Hottentots, fuyez ! Enfoncez-vous dans vos forêts. Les bêtes féroces qui les habitent sont moins redoutables que les monstres sous l’empire desquels vous allez tomber. Le tigre vous déchirera peut-être ; mais il ne vous ôtera que la vie. L’autre vous ravira l’innocence et la liberté.”

Ces citations sont suivies par une passionnante chronologie de la publication de l’œuvre, avec la date des premières parutions imprimées et non anonymes. Le prix modique de ce livre (6 euros) va dans le sens d’une diffusion de l’esprit intelligent et curieux de tout du philosophe qui incarne peut-être le mieux l’humanisme des Lumières : “L’homme est le terme unique d’où il faut partir et auquel il faut tout ramener.” Il s’agit d’une pensée irriguée par la vie et le monde, à mettre dans toutes les poches pour mettre l’esprit en mouvement, sans oublier qu’il n’y a pas d’heure pour la philosophie, et que pour revenir aux livres, il faut aussi savoir les oublier : “Je me porterais mieux si j’étais resté penché sur une femme une portion du temps que je suis resté penché sur mes livres”, écrit le directeur de l’Encyclopédie qui se présente au début du Neveu de Rameau comme abandonnant son esprit “à tout son libertinage”. Il est vrai que lutiner est bien proche de butiner, et le lecteur n’a pas fini d’en faire son miel